Avril ? Déjà ? Mars, ce n’était pas juste hier ? Les mois défilent…enfin non…. pas comme un défilé militaire, organisé, planifié, rythmé, au pas, non…ce n’est pas vraiment comme cela que le temps défile. Heureusement. Cela voudrait dire que tout a été prévu, anticipé, planifié, répété pour que rien d’inédit ne survienne. Et puis moi, les parades militaires, elles me font un effet répulsif. Va savoir pourquoi ! En caracole, alors ? De l’espagnol escargot… en zigzag, un coup à droite un coup à gauche. Non, ce n’est pas cela non plus. Trop prévisible dans ces mouvements circulaires et saccadés. Le temps, ne défile pas. Non, il file. Il ne se saisit pas, on cherche à le capturer ? Mais on parvient seulement à le chronométrer.
Non, le temps ce n’est pas seulement ce qui se mesure et se compte. On peut essayer de le réduire à cela. Cela permet de vendre des horloges, des montres et des calendriers. Et de regarder sur son agenda les zones de vacances scolaires pour louer son gîte champêtre lors du quatrième confinement : cette fois, je ne me ferais pas avoir ! Non, le temps est impalpable. Existe-t-il vraiment d’ailleurs. On en parle mais personne ne l’a jamais croisé. Il s’écoule, jamais identique, toujours pareil. Non, car il n’y a pas que le tempo. Les basses qui rythment. Il y a aussi le cœur qui palpite, les sens qui s’animent, qui pulsent, qui s’ouvre au Kaïros, le temps opportun qui s’invite, un intrus réjouissant. Qui fait le sel et le sucre de la vie. Celui qui est plus un flow qu’un rythme, un sublime instant qu’une durée.
Un mois des disputes
Alors Avril, déjà ! Un mois du commencement, de ce qui s’ouvre ? Un mois de l’amour ? Un mois de quoi alors ? Parce que là c’est un mois qui s’ouvre sur un confinement sans confins, à l’air libre mais pas trop. Liberté bien encadrée. On voit bien qu’avril est un mois de la dispute. Déjà, l’étymologie est discutée voire contestée. Ovide est persuadé que c’est le mois de Venus version Aphrodite chez les grecs. L’amour donc. Il y tient comme à la prunelle de ses yeux. Et il s’encolère. Le mois qui ouvre alors toutes choses et que se dissipe l’âpreté du froid qui resserrait le sol, comme la terre fécondée ouvre son sein, ils disent qu’avril (aprilem) est ainsi appelé parce que c’est la bonne saison où tout est éclos (aperto tempore). Et plus loin « Quelle n’est pas la prétention des envieux ? Certains voudraient te ravir, ô Vénus, le patronage de ce mois et ils te jalousent. Comme le printemps, mais la bonne Vénus met la main sur ce mois et le revendique. »
Difficile de se faire un avis. Là, tout de suite, ce mois d’avril commence avec des parfums tenaces de lassitude et de ressentiment. Puisque son origine se discute, sans doute sera-t-il le mois des disputes : vaccin ou pas ? Confinement, trop stricte ? Trop lâche ? Pas assez de ceci ? Trop de cela ? Jamais tout à fait ce qu’il convient. Et rien qui convienne à tous. Comme si un amplificateur à controverses avait été activé et nous déversait les multiples raisons d’être en désaccord ? Aller voir ailleurs, peut-être ? Voir si des accords sont possibles. Même avec des débats. La nuance a du plomb dans l’aile. Etienne Klein le dit avec à propos dans l’interview ci-après.
Les gens qui parlent sans nuance donnent l’impression d’avoir raison
Etienne Klein
Ce n’est plus débattre qui est l’enjeu mais bien avoir le dernier mot. Avril, le mois des périls ?
Des cerisiers en fleurs
Tiens, le printemps c’est aussi la fête des cerisiers en fleurs au Japon. Et même là, la ritournelle inquiétante : « Nous craignons une soudaine augmentation des infections si davantage de gens sortent, ce qui est le cas chaque année pour le Hanani, la fête des cerisiers en fleur » s’inquiètent les instances de la santé au Japon. Et pourtant, ils célèbreront cette fête. Pourquoi est-ce si important ? Parce que ce moment éphémère est symbolique d’un rapport au milieu de vie. Nous sommes originellement reliés aux autres par une expérience commune du milieu qui est le nôtre. Et c’est cette immersion dans la singularité d’un milieu naturel qui caractérise, le plus profondément, une culture, une communauté de vie.
Et il nous faudrait alors faire un détour par le fūdo. Ce motdéfinit à l’origine la singularité d’un terrain affecté par la nature (désert, prairie, montagne…). Mais le premier caractère a aussi le sens de tempérament. C’est alors la manière dont la terre est culturellement vécue qu’évoque le fūdo.
Une sorte de caractère lié au milieu de vie. Et qui nécessite qu’on le célèbre.
L’air de rien
Alors, dans ce mois d’avril de toutes les incertitudes, peut-être ce rapport au milieu peut nous inspirer. Nous relier à ce qui nourrit, à ce qui est plus important que nous, à ces cycles de beauté éphémère qu’il s’agit, non pas de conserver, de stocker, de surgeler. Non de les vivre dans leur soudaine survenue. Que la vie qui passe soit célébrée dans ses disparitions et renaissances permanentes. Hier, sur la plage, une enfant se réjouissait de saisir le sable dans les mains et de regarder les vagues enlever régulièrement les tas confectionnés par elle avec ténacité : son père, assis sur un rocher, avait les yeux rivés sur son smartphone. Elle cherchait bien à susciter son attention. Mais non ! Il était connecté au monde. Alors, sa fille, ici et maintenant, découvrant les magies du kaïros des bords de mer, ce n’était pas très intéressant. Banal. Toujours pareil. Et puis tout à coup, suite à une sollicitation nouvelle de l’enfant, le père s’est relevé, et a braqué son smartphone pour faire la photo. Pour stocker, archiver, montrer, dédicacer sa fille à la plage. Pour parler plus tard (trop tard ?) en commentant ses photos ; ces images décrivant ces doux moments où elle était là, présente, vivante, ardente. Et lui, absent, ailleurs, après. Pas là. Alors ce souvenir m’est revenu de cette phrase de Giacomo Léopardi : Les enfants trouvent tout d’un rien, les hommes ne trouvent rien dans tout ».
Alors, Avril ? Le mois où tout s’ouvre. A chacun son fūdo.
Stat Rosa ! Que subsiste la rose ! Que la plus courte durée se fasse éternelle !