Hélios repense au propos de Sénèque : Le temps, pour un temps, est encore à nous. Alors il songe aussi à cette épreuve de confinement qui est aussi une expérience de minimalisme contraint. De nombreux objets nous sont inaccessibles. Et ils nous manquent peu. Saurons-nous vivre sans, après ? Mais alors, quelle croissance disent les économistes dominants, les yeux rivés sur la courbe de croissance qui s’infléchit. Sénèque Livre 8 : Vous pensez que ces objets sont des cadeaux de la fortune ? Ce sont des pièges…pour notre plus grand malheur…ils nous trompent aussi par ce leurre : nous croyons les posséder : nous y sommes collés [mfn]Lettres à Lucilius, Lettre 8, Chapitre 3[/mfn].

Plongé dans Sénèque, il écoute distraitement le podcast de France Culture sur Nietzsche. Le bonheur, c’est faire une seule chose à la fois, dirait un proverbe chinois. Et bien, pour Hélios, ce n’est pas gagné. En même temps, le bonheur, tout de suite, c’est hors sujet. Le philosophe Friedrich Nietzsche est célèbre pour ses aphorismes et ses courtes phrases percutantes. Aujourd’hui, utilisées à tort et à travers comme slogans, mantras personnels, éléments de langage, que signifient-elles vraiment ? Et là, tout de suite, il écoute, l’émission relative à cette affirmation : « Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou. » Bonne nouvelle ! La folie n’est pas pour tout de suite. Mais une fois que l’on déplie un peu ce qu’il y a derrière la formule paradoxale, on perçoit bien que c’est plutôt de l’humilité nécessaire dont il est question. Ce qui n’enlève rien à l’importance de la quête du savoir. Mais le savoir comme un chemin, un processus, interminable, nourrissant, mais également tenace, approximatif, inachevé. C’est bien cet inachèvement qu’Hélios perçoit, lui qui est allergique à l’utilisation frénétique d’aphorismes multiples qui diraient des vérités universelles qu’il suffirait d’appliquer. Non, il n’y pas de recettes pour vivre. Et la vraie vie, ce n’est celle qui devrait être, en suivant on ne sait quel plan de route préétabli mais bien le refus têtu de la vie perdue comme le dit François Jullien dans son dernier livre.

Hélios pense à Laura son amie italienne qui vit à Turin. Et maintenant, comment on fait ? Comment va-t-elle. Alors, il découvre l’article du monde relatif à la publication de Paolo Giordano : Je ne veux pas passer à côté de ce que l’épidémie nous dévoile de nous-mêmes, dit-il. L’éditeur a eu la bonne idée de permettre la lecture gratuite de son livre, Contagions, sur son site. Le préambule le laisse sans mots : Je n’ai pas peur de tomber malade. De quoi alors ? De tout ce que la contagion risque de changer. De découvrir que l’échafaudage de la civilisation que je connais est un château de cartes. J’ai peur de la table rase mais aussi de son contraire : que la peur passe en vain, sans laisser de traces derrière elle.

Voilà, on y revient, on y est. La peur que tout disparaisse mais également l’impression tenace que la brume de l’oubli est aussi une menace. Il s’y plonge et en reviens. Effrayé et lucide. Conscient de l’enjeu. Il a compris : aucun homme n’est une île. Alors, compter les jours. Appliquer notre cœur à la sagesse. Ne pas permettre que toute cette souffrance passe en vain.

Hélios, lâche l’ordi, envoie le lien à Anabella et se promet à lui-même qu’il fera sa part pour que toute cette horreur ne soit pas vaine.

Pour se changer les idées, il lui faut un peu de Sylvain Tesson qu’il écoute lors d’une rencontre à Sciences Po Bordeaux. A la question du pourquoi il ne reste pas en place, pourquoi la route, pourquoi l’aventure, il a cette réponse : pour nourrir mon inspiration d’écriture. La découverte n’est pas un but mais un moyen. Heureusement il a les mots et les livres pour rester confiné. Et l’entraînement car il a choisi cela dans les forêts de Sibérie. Mais il n’est pas dupe sur le départ, et sans illusions. Chercher, découvrir, fuir, tout cela est bien entremêlé. Et il sait que l’on ne trouvera plus aujourd’hui d’îles éparses, que la terre est totalement cartographiée. Mais il nous reste le minuscule, l’imprévisible, le hasard :  ne te prépare pas trop, tu risques de dissoudre le sel de l’aventure et d’empêcher le hasard de croiser ta route. Et il reprend la belle formule d’Antoine Blondin. Un jour, nous prendrons des trains qui partent.

Le nez à la fenêtre, il regarde le fil de ses tweets plus inquiétants que jamais. Le Premier ministre indien a ordonné un confinement total de l’Inde, pays de 1,3 milliard d’habitants, pendant trois semaines pour lutter contre la pandémie de coronavirus. A compter de minuit aujourd’hui, tout le pays va entrer en confinement. Pour sauver l’Inde, pour sauver chaque citoyen, vous, votre famille, a déclaré le chef de gouvernement indien lors d’une adresse télévisée à la nation…

Les branches vues d’en haut reportent leur ombre sur le sol. Les ombres s’entrelacent et s’effleurent. S’élargissent. Peut-on s’y accrocher ? Elles sont noires mais solides. Elles poussent sans que l’on n’y prête garde. Des transformations silencieuses. Inquiétantes et rassurantes. Les deux.

C’est l’heure du texto. Anabella est là ! C’est beau à dire.

 » Tu as lu « Station Eleven » le livre vertigineux de Emily ST John Mandel. Vertigineux et éblouissant. Ainsi, après la chute, une troupe de saltimbanques essaie avec ténacité de faire vivre les souvenirs en jouant Shakespeare et Beethoven dans un moment où la brume de l’oubli menace tout. Tu sais que je joue du violon. Après, au début de la seconde vie, on pourrait prendre la route. Une Caravane poético musicale ? ça te dit. Là, tout de suite. J’ai envie de me mêler à une foule, de me perdre moi-même dans un océan de gens. Tu te rappelles le concert de Parov Stelar au festival de jazz de Vienne en juillet. On y était. Porte toi-bien !  » 


Ressources

Livres : 

Articles :  « Je ne veux pas passer à côté de ce que l’épidémie nous dévoile de nous-mêmes » – Paolo Giordano

Podcast : podcast de France Culture sur Nietzsche

Crédit photo : Hervé Crepet Photographe

 

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