Si la pandémie de Covid-19 a donné lieu à un déferlement d’articles et de commentaires venant de tous horizons, une sémantique nouvelle est également apparue : Sanmitsu au Japon (les trois types de promiscuité à éviter), l’acronyme AKB en Indonésie (adaptation à de nouvelles habitudes) en somme une nouvelle normalité, Mys, le mots suédois version cocooning pour survivre au blues Covid…un signe de plus que la période qui s’ouvre est, à plus d’un titre, inédite. Est-ce que ce sont seulement les mots qui manquent ? Évidemment non, d’autant que la période à venir est à la fois incertaine et inquiétante. Et que nous ne sommes pas tous dans la même situation pour faire face à ce qui peut advenir. L’augmentation de la pauvreté et des situations d’injustice est sous nos yeux. Et nous ne pouvons-nous résigner à cela : c’est la seule boussole possible par gros temps. Le climat de défiance généralisé amplifie les colères et le ressentiment, si bien décrit et analysé par Cynthia Fleury. Et chacun, à sa place, essaie de faire au mieux pour trouver un nouvel équilibre face aux tensions du moment. Alors, écrire, créer, concevoir des œuvres pour le public, raconter des histoires peut paraître décalé. Ce matin, j’écoutais à la radio Karen Ann qui disait le chagrin (c’est le mot utilisé) que provoque chez elle l’affirmation que les arts ne sont pas des biens nécessaires. Alors que c’est vital pour elle. Et on la comprend. Et nous ne regardons donc pas la situation du même point de vue. Alors, on peut commenter sans fin la grande histoire. Ou regarder de minuscules petits évènements qui, l’air de rien nous racontent quelque chose de nous. Tiens , par exemple, vous savez quoi ? Un signe de plus que le monde change. Au Japon, pays dont on connaît l’attachement aux règles minutieuses et aux rituels, tant dans la vie quotidienne que dans les interactions au travail, l’accélération et l’enjeu de performance entraînent des transformations très symboliques. Ainsi, avec la crise du Covid, les entreprises nippones accélèrent la dématérialisation de leurs documents et abandonnent notamment l’usage des hanko, les sceaux personnels. Une petite révolution culturelle précise le Nihon Keizai Shimbun dans un article récent. Il faut dire que l’utilisation des sceaux personnels ne facilite pas le télétravail !

Anecdotique ? Tout dépend comment on regarde cette évolution. Incontournable dans le cadre d’une compétition mondialisée qui prend des formes nouvelles avec la Covid-19 ? Bien sûr. Mais il y a, au-delà de cette dimension purement rationnelle, une lecture complémentaire possible. Les sceaux traversent toute l’histoire de l’humanité. On en trouve en Mésopotamie au cours du Vème millénaire avant notre ère. C’est qu’il introduit une manière de singulariser, même si ses usages sont multiples. Façonnés, élaborés avec soin par des artisans (chaque Hanko est différent du précédent) ou moulés en plastique (ils sont tous identiques car reproduits en série), l’histoire des Hankos nous parle d’une transformation silencieuse qui traverse les temps et nous confronte à deux lectures du présent : celle qui nous dit que tous les matins du monde sont sans retour car uniques…et qu’il faut en prendre soin, en savourer l’éphémère ; le haïku en est la version poétique. Une autre qui nous dit que tout est duplicable, reproductible, codable en algorithmes éternels, livrable rapidement et jetable après usage…caricatural ? Les deux ne seraient pas compatibles ? Quand on voit le nombre de manuels de développement personnel qui nous guident pour vivre au présent, j’ai juste envie de relire en boucle les lettres à Lucilius de Sénèque (signées avec un Hanko ? Difficile à dire !).   

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