En principe, février est un mois plus court que les autres. Il semble que l’on ait rajouté un jour aux mois de juillet et août pour faire plaisir à César. Et qu’on les aient piqués à février. D’où la brièveté d’un mois dont on dit qu’il est le pire. ! En plus, Februarius vient du mot latin februare, qui signifie purifier. C’est donc aussi le mois où l’on expie. Heureusement qu’il est plus court ! Nous purifier ? Ne sachant pas trop ce que cela voulait dire, je suis allé chez mon libraire préféré chercher des méthodes reconnues et certifiées pour me purifier en bonne et due forme. Déjà, j’ai eu une surprise. La librairie avait été réagencée. Il n’y avait plus qu’une étagère philosophie avec les grands classiques et les petits nouveaux, mais pas tous. On peut les commander si on y tient vraiment. Par contre, le rayon développement personnel avait pris de l’embonpoint. Le libraire me conseilla de fureter dans ce rayon. Il y a forcément un guide sur « Comment bien se purifier en février ! ». Il y a des livres de conseils et de recommandations sur tout. C’est d’ailleurs un succès de librairie assuré. Regarde, me dit-il, voilà déjà la troisième édition de comment réussir son confinement ? Je te conseille de jeter un œil aussi sur ces best-sellers : atteindre la meilleure version de soi-même ; être en accord avec soi ; changer de voie pour trouver la lumière…..à bien y regarder, cela m’a désolé. Entre versions exotiques de stoïciens rabat-joie (du genre Sénèque pour les nuls) et la saison 3 des accords aztèco-rigolos, je me suis dit que l’on nous prenait pour des quiches. Pourtant, ma lecture distraite des réseaux sociaux m’avait habitué à ce florilège quotidien de proverbes et conseils me permettant (enfin, c’est ce qu’on dit !) de mieux gérer, mieux patienter, de mieux choisir, de mieux former, de mieux manager. En somme, d’être une meilleure version de moi-même. C’était d’ailleurs un des guides sur lesquels je suis tombé. Atteindre la meilleure version de soi-même.  En somme, soi, mais en mieux. Et là, j’ai eu comme un vertige. Et une vision. J’ai imaginé une application me permettant de savoir où j’en étais de ma version de moi-même. Un peu comme les applis qui vérifient la composition des produits alimentaires. 52 sur 100, c’est vert. Ouf ! 36 sur 100 c’est orange, 12 sur 100 c’est rouge. Fais gaffe ! En écrivant cela, je me dis également que cela doit déjà exister. Une appli qui surveille l’état de mon moi et qui me conseille de temps en temps. Votre version de vous est bientôt obsolète. N’oubliez pas de télécharger la dernière version de votre vous, disponible en abonnement automatique ou personnalisé. Je crois qu’on y est. La meilleure version de moi est déjà en ligne et j’ai omis de la télécharger. Alors, si la meilleure version de moi est toujours transitoire, en attente d’une nouvelle version de moi, en mieux, je me dis que les livres de développement personnel ne font que suivre le filon de l’objectif et de la performance. Sans fin. Alors, je ne serais donc qu’un produit à améliorer sans cesse. Afin que mon attention soit captée et mes données numérisées en vue d’un profilage personnalisé. Un simple code-barre suffirait ?

Moi (je) existerait donc en dehors de moi, scénarisé et agencé par un algorithme encodé par des humains comme moi, qui veulent juste vivre. Bon, j’exagère ! Peut-être ?

Alors, dans un mouvement de rejet impulsif, je me suis dit que février ne serait ni le mois de la purification, ni le mois de l’expiation. Il y déjà un confinement en fond d’écran et je ne me vois pas consulter un manuel d’excellence qui me dise quoi faire. Donc, dans un élan agoraphobe qui me touche parfois, j’ai quitté urgemment la grande ville pour arpenter les sentiers de la Sainte-Victoire. Pas trop fréquentés à cette heure de pré couvre-feu. J’ai quand même croisé un marcheur étonnant qui tirait deux ânes bien chargés. Alors, dans un geste d’une sociabilité soudaine, je lui ai demandé, au monsieur. 

« C’est bien le chemin de l’Hermitage ? »

Alors il m’a répondu :

« Je ne sais pas. Mais je crois que j’ai vu un panneau. Tout est indiqué. Il suffit de suivre les indications. On ne peut pas se perdre… ».

Alors, sa parole m’a éclairé, voire illuminé ! Suivre les indications, c’est la certitude de trouver la voie défrichée par d’autres. Et décidée pour moi. Alors, je me suis mis à chercher les balises barrées, celles qui indiquent que ce n’est pas la bonne route. Et j’ai compris alors ce que veut dire François Jullien avec son histoire de dé coïncidence. Donc, dé coïncider ce serait peut-être sortir de soi pour se perdre un peu ? Pour faire un écart ? Pour oser l’imprévu ? Pour s’orienter à nouveau vers « de l’autre » ?

Sortir de l’enlisement, c’est d’abord regarder les chemins de traverse qui ne se voient pas au premier coup d’œil car ils ne sont pas fléchés. 

« L’enlisement vient, en revanche, de ce qu’on y rencontre plus…par là une rencontre n’est jamais prédictible dans ce qui peut y arriver…elle interrompt le cours s’enchaînant du temps et ravive du présent en le détachant du passé…. »

Là est la rencontre. Et la rencontre, c’est la vie. Ce qui me suffit comme version de moi. Portez-vous bien.

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