Extrait de l’exposition BUÉES
Alors, le flou nous met dans le doute ? Un doute qui nous inquiète. Mais n’est-il pas vital de constater, avec les pensées, bien sûr mais avec notre chair aussi que les certitudes pèsent, que ce qui est déjà écrit empêche, brouille, falsifie notre rapport à la vie. Alors s’agit-il de rendre compte du réel tel qu’il est ? De l’immortaliser pour fixer des instants sur les planches duplicables à l’envie. De regarder en s’esclaffant : c’est encore plus vrai que vrai !
Oui, les buées nous invitent à autre chose : regarder ce qu’il y a derrière mais sans vraiment le voir. Est-ce derrière d’abord ? Peut-être est-ce dedans ? Ou avant ? Ou ailleurs ? Ce n’est pas le voir vraiment non plus, c’est tirer le fil d’esquisses qui prennent formes en se déformant… chacun y voit ce qu’il imagine. N’est-ce pas, plutôt, qu’un simple agencement de nos mémoires, avant que les brumes de l’oubli s’en saisissent et les portent à la corbeille avant de vider la corbeille. Et où tout cela arrive quand la corbeille est vidée ?
Alors, chacun, Frida, Hana portent leur regard sur ces ombres indéfinies ; un regard les fige mais même là, elles se meuvent encore et se transforment, sans cesse. Les fixer ne les fige pas. Pourquoi ? Parce qu’elles ne sont pas que des images. Elles sont des histoires. Et chacun y voit les siennes.
Bienvenue dans un monde indéfini. Et lumineux.
Avancer à tâtons, prendre appui sur les murs invisibles, espérer que le brouillard ne tardera pas à se lever ; prier pour que, derrière la vitre, la lumière ne soit pas seulement un pâle réverbère éclairant ses pieds mais bien une flamme éblouissante qui rechargera nos cœurs pâles et vidés. Après tant d’attente. S’approcher plus près pour être sûr. Que l’on ne fera pas fausse route, que l’on ne sera pas déçus. Savoir ou croire. Ou alors, si on ne veut pas être certain, attendre et non plus espérer, attendre et imaginer ce qui se passe derrière. Alors, peut-être, on pourra distinguer, entre apercevoir, ce qui se meut derrière, ce qui nous attend…l’eau coule comme des larmes que rien n’assèche…le soleil sera t-il assez brûlant ? Mais est-ce bien le soleil ? En es-tu sûr ? Alors attendre ? Ou franchir le passage ?
Je ne suis sûre de rien. Juste que je sens qu’il faut suivre les ombres, dit Frida. Peut-être que derrière ce ne sont que des successions de portes embuées qui nous attendent, qu’un épais brouillard qui nous enferme, qu’un mur de l’oubli qui nous absorbe, qu’une répétition infinie de mystères ombrageux… ou peut-être n’est ce qu’un champ dégagé et lumineux qu’il nous suffit d’investir. Y prendre place, y semer ses graines de futur et ses racines de mémoire…y être au présent. Mais le présent, c’est quand ? Demain…car il nous faut décider de franchir le pas…de s’approcher d’abord. Alors, attendre ?
Pourquoi tant de peurs ?
Moi, je crois qu’il faut attendre dit Hana. C’est trop incertain. Je ne peux pas me décider. J’ai mes enfants à protéger. Je ne veux pas que ce soit moi qui décide…les conséquences sont imprévisibles. Maintenant, c’est sombre et triste ici, bien sûr. Mais on peut espérer. Mais cela pourrait être pire ? Non ? Ce n’est pas que la peur, c’est de la prudence. On ne sait pas ce qui se passe derrière. Tu ne perçois pas ces ombres agitées, ces mouvements de colères…il me semble même que j’entends des cris au loin…n’est-ce pas la guerre, là-bas, derrière…et puis tu vois cette lueur intense, qui grandit, n’est-ce pas le feu qui prend, la forêt qui brûle, les arbres qui menacent. Ne pourrait-on pas simplement attendre d’y voir plus clair ? Que la brume de l’indéfini se lève ? Enfin….