Hier, c’était Lever de rideau. Aujourd’hui cela ne peut pas être Baisser de rideau, trop pessimiste. Hélios se dit qu’on va attendre un peu : qu’on fermera le rideau quand il ne sera plus nécessaire de le fermer, quand tout sera à nouveau ouvert, quand le confinement nous paraîtra comme une expérience transitoire de frugalité, de retour sur l’essentiel, de privation de superflu. Peut-être que cela nous donnera une petite idée de ce qu’est être enfermé, pour de bon, sans possibilité de formulaire à remplir pour sortir 1 heure, 1 kilomètre. Tout le monde semble s’accorder à penser que c’était mieux avant, quand tout était encore possible. C’était mieux avant. Hélios a retrouvé dans ses cartons un livre malin, érudit et blagueur de Lucien Jerphagnon intitulé « C’était mieux avant ». C’est vrai que le pessimisme et le doute ont des heures de vol ! D’ailleurs, comment la nature humaine peut-elle être sûre de quoi que ce soit ? disait déjà Hérodote dans l’Enquête. Et ce n’est pas une remarque qui date d’hier. Une vraie interrogation métaphysique. L’auteur s’en amuse, et il nous taquine sur nos certitudes arrogantes : c’est évident, une tartine beurrée choit toujours du côté du beurre et cela même pose problème au-delà de la physique…Et il rajoute sous couvert de blague : « Mon fils, es-tu sûr de tartiner le beurre du bon côté ? ». Oui, c’est cela ! Il y a toujours des jours sans. Le pessimiste a peu de chances d’avoir de bonnes surprises puisqu’elles cachent toujours un pire à venir. Le problème ce n’est pas le malheur qui nous afflige mais la publicité qu’on en fait. 

Il en est là dans ses réflexions, se demandant qui va inventer un test en ligne du style « Quel type de pessimiste êtes-vous ? quand il entend à la radio l’information suivante : des habitants se sont opposés à l’arrivée d’une infirmière dans un immeuble à Paris, jugeant qu’elle risquait de les contaminer. « On m’a rétorqué que je n’étais pas le seul dans cet immeuble et que ce comportement était égoïste », raconte à la radio la personne qui avait trouvé l’appartement pour cette soignante. Donc la solidarité doit être sans coûts ou sans risques sinon elle n’est pas possible ? Oui, mais alors ce n’est plus de la solidarité. Et surtout pas du courage. Hélios ne se sent pas plus courageux que les autres. Pourtant il retrouve les propos de Cynthia Fleury dans son livre d’une actualité vive, la fin du courage : J’ai perdu le courage comme on perd ses lunettes. Aussi stupidement. Aussi anodinement. Perdu de façon absolue, si totale et pourtant si incompréhensible. (…) Savoir qu’il va falloir tenir alors que rien ne tient. Est-ce cela la vie ? La vie digne ?

Tenir. Et tenir seuls et ensemble. Ce n’est pas d’un acte héroïque et ponctuel dont il s’agit là mais d’un effort sur la durée, souvent invisible aux autres, qui ne sera peut-être jamais reconnu et valorisé. Alors, ce courage vient d’autre chose. Un élan qui mixe l’énergie vitale et l’endurance, la technicité et la régularité, l’énergie et la foi ! Patience et persévérance, c’est aussi l’enjeu du confinement. Tenir ! Il pense bien sûr à tous ces personnels soignants qui seront là pour lutter sans cesse contre le covid-19. 

Alors, pour lutter, tous les moyens sont bons ? Pas certain ! La newsletter d’Usbek et Rica du jour nous livre les réflexions sur le Covid-19 de l’historien Yuval Harari qui anticipe les dérapages de la crise et appelle à un sursaut. Alors, si on le suit dans son raisonnement, nous sommes au point de basculement vers la surveillance de masse et le repli nationaliste. Quand on voit effectivement l’utilisation des données personnelles, notamment en Corée du Sud, dans la lutte contre le Covid-19, on a comme un doute. Un point de non-retour ?

Fatigant le doute. Hélios ne peut que se contenter de rester confiné et de respecter les consignes. Alors, puisqu’il n’y a ni lever, ni baisser de rideau, puisque la route de l’aventure est transitoirement coupée, nous restent la rêverie, le songe, l’imagination. A hisser haut puisqu’ils nous sont aussi indispensables que l’air et l’eau. Et l’amour. Il repense au texto d’Anabella : le voyage de la nuit. Ce n’était pas un bateau qui lève l’ancre, des voiles qui se déploient et une embarcation qui file sur l’eau. Non, ce n’était pas ça. C’était une lente envolée. Il était dans sa nacelle et il jetait par-dessus bord ce qui empêchait la montgolfière de décoller, de prendre l’air. Le ciel était gris et les nuages imperméables, infranchissables. Alors, il jetait et jetait encore. Mais le plus lourd, c’était les livres et il n’arrivait pas à se résoudre à se séparer d’eux. Il repensait à cette phrase de Jeanne Benameur dans « Ceux qui partent »il y aura aussi des livres, parce qu’ils vous emportent et vous reposent de tout, parce que parfois ils vous conduisent même là où vous pensiez qu’en vous il n’ y avait plus rien. Alors, il se dit qu’il faut qu’il les emporte en lui et pas avec lui. Et il les jette par-dessus bord…et la nacelle bouge doucement puis décolle…et là, au-dessus, il ne voit déjà plus la même chose. Où aller ? Il atteint les nuages et le rêve s’éteint…il est parti et toujours là. Alors, sans savoir pourquoi, il pense à ces migrants qui fuient, que nous ne savons pas accueillir. Jeanne Benameur encore : Ils nous annoncent que c’est un temps nouveau qui commence. Un monde où pour mener, et le souffle et le pas, il n’y a que la confiance. Ils apportent avec eux le monde qui va, le monde qui dit que les maisons et tout ce qu’on amasse n’est bon qu’à rassurer nos existences si brèves…un monde qui sait que rien n’appartient à personne sur cette terre, sauf la vie. Oui, la confiance :  Les mots ont un sens. Dans l’étymologie latine, le verbe confier (du latin confidere : cum, « avec » et fidere « fier ») signifie qu’on remet quelque chose de précieux à quelqu’un, en se fiant à lui et en s’abandonnant ainsi à sa bienveillance et à sa bonne foi. Voilà ce qui manque. Heureusement Anabella… Elle ne lui dit rien ce soir. Ou presque. Elle lui envoie la photo de la toile de Fabrice avec ce seul mot : rêver.

© Fabrice GATTIER - Photo d'une huile sur toile

© Fabrice GATTIER – Photo d’une huile sur toile

Et le lien vers la musique de Max Richter : on the nature of Daylight.

Cela suffit à son bonheur du moment.


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Crédit photo : © Fabrice GATTIER / Photo d’une huile sur papier

 

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