Hélios a le blues ce matin. Il n’a pas ouvert ses volets et imagine la façade vue de l’extérieur. Lui qui ne pense qu’à l’air libre et à courir dans les bois n’ose même plus ouvrir la fenêtre. Ces volets dérisoires le protègent. Non, bien sûr. Mais ils réduisent la portée de son regard au connu, et c’est ce qu’il lui faut ce matin. La photo d’Hervé lui signifie que les volets sont bien clos. Et c’est déjà ça.

Jour 13 : la Vague

Lui reste la possibilité de naviguer dans cet espace maîtrisé et aussi par ses souvenirs et son imagination. La vision de la vague qui va nous submerger l’affecte. Nous en sommes donc réduits à l’attendre. L’accepter, peut-être, s’y résigner ? Volets clos, c’est donc la seule solution pour que rien n’arrive : ne rien faire. Il n’est pas banal que l’on nous répète sans cesse que ce n’est pas le virus qui circule mais nous qui le faisons circuler. Par nos liens physiques et notre proximité spatiale. Sigmund y verrait un signe…

Ouf, la connexion marche encore. Hélios découvre cette information dans courrier international : L’Espagne va surveiller le déplacement de ses habitants grâce aux smartphones. Le gouvernement de Pedro Sanchez a décidé, samedi 28 mars, d’ordonner à tous les salariés travaillant dans des secteurs non essentiels de rester chez eux durant deux semaines. Pour mesurer l’efficacité du confinement, le gouvernement a demandé aux opérateurs de téléphonie mobile de lui fournir les données de géolocalisation de tous les smartphones du pays.

Et sur France Info ; il entend cela : les militaires et policiers péruviens, qui patrouillent pour faire respecter la quarantaine, seront exemptés de responsabilité pénale s’ils tuent ou blessent par « légitime défense » en situation de « danger », ont annoncé les autorités. Le Pérou est soumis à un isolement obligatoire et à un couvre-feu nocturne depuis le 16 marsYuval Harari disait il y a quelques jours qu’il fallait anticiper les dérapages possibles de la crise. On y serait donc plus vite que prévu.

Alors Hélios, imagine un autre dialogue entre Sisyphe, bloqué au pied de sa montagne, sans rocher à hisser, avec Zeus, le Dieu des Dieux celui qui lui a infligé ce châtiment éternel.

Sisyphe : Et bien dites-donc, vous n’êtes pas facile à joindre, Dieu suprême. Je sais qu’à ce titre vous devez être fort sollicité mais quand même, là il n’y a plus rien qui marche !

Zeus : Je vous rappelle cher Sisyphe, que même si je suis le Maître de l’univers, que je fais régner sur le monde l’ordre, la sagesse, la justice, j’ai aussi quelques faiblesses humaines. Et notamment, je déteste que l’on me contrarie. Vous savez ce qu’il en coûte

Sisyphe : Oui, mais en même temps, vous voulez me punir comment ? Je subis déjà un châtiment éternel, on est au top dans la hiérarchie de la punition !

Zeus : Ne me provoque pas, je peux augmenter le poids de ton rocher et réduire ta ration alimentaire. Tu verras, le pire est toujours possible

Sisyphe : Oui, je vois que vous êtes toujours aussi réactif !

Zeus :  Oui, mais en même temps, tout de suite, j’ai d’autres problèmes. Tout est bloqué ; Les petites mains ont exercé leur droit de retrait. On est confinés sur ordre d’un algorithme, on est surveillés par des drones…

Sisyphe : Ah bon ! Vous avez donc un supérieur même en tant que Dieu suprême ?

Zeus :  Je n’ai pas dit cela. Ma colère et ma réponse seront disproportionnés. Mais là tout de suite, je suis un peu bloqué !

Sisyphe : Bloqué ? C’est-à-dire ?

Zeus : Il semblerait que le virus s’attaque aux Dieux, à tous les dieux. Et certains vont mal. Donc, je ne la ramène pas trop. J’attends de voir les faiblesses de l’ennemi. Mais ma vengeance sera terrible

Sisyphe : OK, Zeus, je vous laisse voir. Moi, je fais quoi en attendant ?

Zeus : Ce que tu veux. C’est relâche. Ton châtiment reprendra quand les connexions seront revenues. Nos équipes y travaillent. D’ici là, tu la ramènes pas sinon…..

Sisyphe : Ok, Ok j’ai compris, je ne vais pas vous contrarier !

Alors Hélios se dit que ce qui semblait stable jusqu’ hier paraissait s’effondrer. Et que le retour ne serait pas à la normale. Sûrement pas ! Cela lui faisait penser aux remarques du philosophe Urbaniste Paul Virilio qui déjà dans les années 90 théorisait sur les conséquences de la vitesse : ne pas être dupes de la propagande du progrès. La part du vif, du vivant par rapport au vite. Et il venait de lire cette interview de Françoise Dastur : Cette civilisation du loisir va être interrogée très profondément. Le tourisme de masse sera mis en question, tout comme la précipitation qui a atteint la plupart d’entre nous et que diagnostiquait le philosophe Paul Virilio. Avez-vous remarqué que nous parlons de plus en plus vite ? C’est parce que le langage ne sert plus qu’à l’information et ne répond plus à son rôle fondamental – l’expression de la pensée et le dialogue. C’est à partir de là que pourrait alors nous être révélé que l’angoisse de la mort n’est nullement incompatible avec la joie d’exister. 

Anabella ne lui envoie pas son texto du soir. Mais elle l’appelle sur son portable.

-Bonjour Hélios, comment ça se passe pour toi ?

-Euh, ça va, je m’occupe, c’est long et étrange, mais pour l’instant ça va

-Je voulais te dire…j’ai arrêté le violon tous ces jours, difficile à distance même si on arrive à répéter avec une plateforme. Je me suis remis à la couture et j’ai fait des masques en tissu. Il y a plein de tutos. J’ai fait plusieurs modèles. J’en ai fait pour les gens de l’immeuble qui m’ont demandé : j’ai mis un post it sur les boîtes à lettres. Je pensais t’en mettre un dans ta boîte à lettres. Ça te dit ? Je t’envoie les photos. Choisis le modèle et la couleur…

-Euh, merci, c’est sympa, mais le modèle et la couleur…comment dire …

-Si, si, tant qu’on a encore un truc qu’on peut choisir… la résignation commence quand on n’a même plus envie de choisir dans les choses dérisoires

-Oui, sans doute, là on ne maîtrise pas grand-chose !

-Oui rien, donc on choisit quand même ce qu’on fait, ce qu’on mange, comment on s’habille, quand on sort…dis-moi la couleur et la forme…

-Ok, merci…

-Porte toi-bien.

Je t’envoie un lien de la musique que je mets quand je couds.

Les volets, les masques, la musique…


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Crédit photo : Hervé Crepet Photographe

 

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