Hélios écoute au matin Melody Gardot qui chante Your heart is as black as night. Le cœur noir, aussi noir que la nuit.  Un blues qui est aussi un chant pour les périodes de blues. Il met en musique la mélancolie qui nous tombe dessus au matin. Certains s’occupent. D’autres théorisent sur notre capacité à réussir ou pas notre confinement. Cela n’est pas banal. Réussir sa vie ou pas, on peut comprendre. Dans un monde où la compétition est la norme, chercher à faire le mieux possible, à faire une perf comme disent les sportifs, à se challenger disent les consultants : défi, réussite, compétition. On peut comprendre dans la vie active (opposée à confinée). Mais là, une compétition pour réussir un truc où il n’y a rien à faire (le confinement), cela interroge ! Hélios est rassuré. Il n’est pas le seul à s’interroger C’est même une des grandes questions de la période. France Culture s’en fait l’écho. Comment (ne pas) réussir son confinement ? Alors, on nous refait le coup de ces petits riens, de la gorgée de bière, des silences apaisants, des plaisirs minuscules….La remarque du collègue journalisme lui va droit au cœur : D’où cette question : des petits riens d’accord, mais pour quoi faire ? Tout à fait. L’ennui menace, l’inaction nous amène à penser que nous allons forcément rater quelque chose, notre compteur est arrêté, les factures arrivent encore mais plus les ressources. Alors, réussir son confinement, cela doit réjouir Sisyphe dans son analyse expérimentée de l’absurdité. Surtout que là, ce n’est pas un châtiment bien insupportable : rester chez soi. Pas de rochers lourdingues à remonter qui redescendent aussitôt ! Alors, je me dis qu’il va y avoir des critères et des indicateurs, un référentiel même intitulé « Pour un confinement réussi ».  Avec un sous-titre accrocheur du type : pour se confiner moins bête. Un groupe de travail a déjà dû se mettre en route pour le construire et le diffuser. Sans doute des jurys pour apprécier. Peut-être même des prix : 15 jours tous frais payés à Sainte-Hélène ; un stage de jeun (pas jeune, du verbe jeuner, rien bouffer !) à l’ile de Ré ; une croisière en solitaire entre Les açores et Lorient ? Sisyphe, au secours ! Remets-nous sur les rails. Fais-nous un tuto sur « Progresser dans la vie absurde ». Trop d’absurdités tue l’absurde. Ça peut juste devenir…con ! 

Alors, histoire de ne pas se mettre en colère pour un truc inutile, il se plonge dans la newsletter du jour de Philo Mag. Et il tombe sur un édito très touchant. 

Il y a quelques jours, alors que j’écoutais les mauvaises nouvelles – mais aussi les initiatives inventives et généreuses – à la radio, une maxime de Nietzsche m’est revenue : “Ce qui ne me tue pas me rend plus fort.” Elle m’a toujours parue horripilante, décalée par rapport à la fragilité qui est mienne depuis l’adolescence. Hélios se dit qu’effectivement cette maxime l’agace aussi. Si je ne meurs pas cette fois, se dit-il, je ne serais pas plus fort…non, plus avisé, plus inquiet, plus soucieux de plein de choses. Mais surement pas plus fort. Plus vulnérable sans doute et avec une conscience affutée de ma fragilité. Handle with care ! Sois prudent avec nous et le monde. Hélios a plus le sentiment qu’il sera plus attentif et précautionneux. Alors, comme France Culture nous fait la rediffusion sur les malentendus Nietschéens (cette maxime en est un), il cherche à comprendre. Et il imagine un nouveau dialogue entre Sisyphe, en attente de roche à hisser, craignant une nouvelle rallonge de châtiment éternel de Zeus, avec Friedrich Nietszche.

Sisyphe : Ohé Friedrich, vous, à qui les idées viennent en marchant, vous ne trouvez pas que c’est un peu osé en ce moment de nous rappeler votre formule « ce qui ne me tue pas, me rend plus fort » ? ça fait pas plaisir à tout le monde. Moi, ça me ferait flipper grave !

Friedrich : Vous savez, cher Sisyphe, je suis mort depuis bien longtemps. Alors je ne me rappelle pas vraiment avoir dit cela. C’était quand ?

Sisyphe : Dans « Crépuscule des Idoles », en 1888. Je n’ai pas tout compris. Et quand on m’a expliqué, ça m’a un peu embrouillé. Alors je me suis dit que vous pouviez m’éclaircir les idées

Friedrich : Aucun souvenir. Il faut dire que j’ai un peu perdu la tête sur la fin. Et j’ai des grandes périodes de blanc ! Des trous de mémoire en somme ! 

Sisyphe : Et bien nous voilà bien, si les sources de nos maximes perdent la mémoire. Heureusement, il y a plein de gens qui ont étudié votre œuvre. Des fans, on les appelle les Nietzschéens d’ailleurs 

Friedrich : Méfiez-vous ! Même si je n’ai pas une idée très précise de ce que j’ai écrit. Je me rappelle que la maladie a rythmé ma vie. Donc, ce que j’écris il faut toujours le penser dans son contexte. J’étais souffrant. Alors parler de mort et de force, peut être que cela a un lien ! Je l’ignore…tout s’embrouille. La plupart de ceux qui parlent de moi disent que ma pensée est complexe. Je confirme.

Sisyphe : Affirmatif : je suis largué. En plus, à ce que j’en sais, la fin a été un peu rude, je crois

Friedrich : Je me rappelle de ma frénésie d’écriture, de mes chagrins d’amour ; de la marche permanente et forcenée pour penser et de la douleur physique aussi. Je sais aussi que je me suis pris pour le successeur de Napoléon, pour Dionysos ou le Christ. J’ai écrit des lettres dénuées de sens à des amis ou des inconnus. Mais c’est bien si on n’a pas retenu cela. Ça m’appartient. Pour le reste, les mots volent et chacun leur met les couleurs qu’il souhaite. 

Sisyphe : Pas la peine de remuer le couteau dans la plaie. On dira que votre maxime parle ou ne parle pas ! C’est selon !

Friedrich : Cela me parait sage ! Et juste !

Hélios se rend compte qu’il joue avec le temps, qu’il ramène ici et maintenant des personnages d’avant. Demain, peut-être il nous fera parler un philosophe de années 2050. Avant ? Après ? Il en est là de ses réflexions quand il reçoit la notification de la newsletter du jour d’Usbek et Rica. Synchronicité évidente, il y est justement question de temps. Thibault Damour, professeur à l’Institut des hautes études scientifiques et membre de l’Académie des sciences  y écrit en 2016 : l’écoulement du temps est une illusion. Et il cite les propos d’Albert Einstein Dans une lettre datée du 21 mars 1955, un mois avant sa mort, il termine par ces mots : « Pour nous, physiciens dans l’âme, la distinction entre passé, présent et futur ne garde que la valeur d’une illusion, si tenace soit-elle. ».

Bon après la fin du monde d’avant, c’est la fin du monde où le temps s’écoule. Et en plus le temps n’existe pas ? C’est trop pour lui aujourd’hui ! Il retourne à son confinement héroïque mais un peu répétitif.

Anabella lui envoie son texto du soir. 

J’ai mis les masques en tissu dans ta boîte à lettre. Je viens de lire un article inquiétant. Le temps n’existe pas. Je te l’envoie demain. Étonnant non ? Et puis, puisqu’il nous faut patienter (alors même que le temps n’existe pas !) et que la seule façon pour nous de contribuer à ce que le pire n’advienne pas, médite sur cela :

La patience est la plus héroïque des vertus, précisément parce qu’elle n’a pas la moindre apparence d’héroïsme. Giacomo Leopardi, Zibaldone

Je t’envoie un lien vers la musique de Mélody Gardot.
Porte-toi bien.


Ressources

Articles : 

Newsletter : 

 

Pin It on Pinterest