Anabella lit le message de Fabrice. Et regarde la photo de sa toile. Avant-hier je cherchais des hasards sur le papier…je me disais « si tu ne lâches rien »…. tu fabriques des étoiles. Elles sont sous nos yeux. Elle aimerait les voir de plus près, ces étoiles, avec la texture de l’huile sur papier. Révélées par les couleurs. Mais cette distance laisse aussi possible un vagabondage…percevoir les scintillements, les esquisses, les ombres, ce qui ne se voit pas mais se devine. Les silhouettes, un château peut-être, des âmes qui vivent ? Il y aurait donc de la lumière à venir. Accepter, mettre à distance, entrevoir…

© Fabrice GATTIER

« si tu ne lâches rien »…. tu fabriques des étoiles.

C’est peut-être cela, ce moment aussi, regarder avec attention ce qui se dessine, de manière encore incertaine et floue mais qui peut servir de boussole si on accepte. Accepter, ce n’est pas résigner. Cela lui fait penser à l’aphorisme de Haruki Murakami :  Pain is necessary, suffering is optional :  La douleur est incontournable, mais souffrir est optionnel.  Cet aphorisme, l’écrivain japonais Haruki Murakami s’en sert quand il court le marathon. Durant les moments de grande souffrance, il a appris à contrôler sa douleur, en apprenant à la mettre à distance de soi, à l’observer comme s’il s’agissait d’un phénomène étranger, comme si son corps ne lui appartenait pas. 

Et puis elle retrouve ce propos : Je crois à la nécessité de résister, de m’affirmer dans l’existence mais sans illusion sur ma capacité à changer le monde dit James C.Scott. C’est cela, faire de son mieux avec persévérance et humilité. Ni impuissant, ni tout puissant.

Et puis tout à coup, les nouvelles du monde en transe la percutent. Courrier International : Le nombre est sidérant, commente le New York Times, plus de 6,6 millions de personnes se sont inscrites au chômage la semaine dernière aux États-Unis, où plus de 80 % des habitants sont désormais concernés par des mesures de confinement pour endiguer la propagation du nouveau coronavirus, contre moins de 50 % il y a encore deux semaines. Un record, “alors que l’épidémie de Covid-19 a ravagé presque tous les secteurs de l’économie américaine. Pas besoin d’aller si loin. Chômage partiel en France avec les premières fiches de salaire en baisse ; mais surtout nombre de personnes sans aucun revenu ce mois. Un peu plus au Sud de l’Italie, d’autres questions se posent. Les régions méridionales de la Péninsule sont moins touchées par la pandémie, mais les mesures de confinement y sont tout aussi sévères. De nombreuses personnes qui survivaient grâce au travail au noir n’ont plus de revenus, ce qui inquiète les autorités qui recensent des premiers signes de “révolte”. Quand elle a fini de lire, Anabella se dit qu’on découvre tous les jours des conséquences non immédiatement perçues. On tire le fil, on effleure le domino et tout se met en mouvement sans trop savoir où, quand, comment cela peut s’interrompre. Et quelle sera la réaction de toutes ces personnes confrontées tout à coup à l’impossibilité de vivre, d’assurer l’essentiel ? Et nous que, faisons-nous ?

Dans ce contexte, la recherche scientifique se mobilise. Dans une tribune, un collectif de scientifiques plaide l’importance de la recherche en écologie pour comprendre les phénomènes d’émergence de maladies infectieuses, et anticiper les menaces futures. En creux, on perçoit que ce n’est que le début. Et que la lutte face à ce qui arrive est aussi liée à la compréhension de ce qui l’a provoqué. Sur ce point Sénèque pourra repasser. Si on ne comprend pas d’où cela provient, comment « ces enchevêtrements de causes » sont identifiables, on risque de s’en remettre aux augures, aux voyants ou aux complotistes. La nouvelle mise en scène de la science comme seule boussole à l’action publique est évidemment la seule possible. Mais les médailles sont toujours à deux faces. Quand le discours scientifique dit légitimement ses interrogations, ce qui est une éthique de chercheur devient une source d’angoisse. La boussole n’a pas de nord. Dans ce contexte ce qui honore les scientifiques (volonté de plan expérimentaux valides, posture d’objectivation, patience…) est aussi ce qui angoisse la foule. La mère d’Anabella lui l’a dit au téléphone : on ne sait plus quoi en penser, tous les jours ça change, ils sont dépassés, on est foutus. La digue de la science (la mère d’Anabella voue un culte pour la médecine comme seule science qui peut nous sauver !) est en train de se fissurer.

Alors, la place est ouverte aux complotistes et aux simplificateurs qui refont l’histoire, inventent des scenarios, tout en jouant sur nos peurs. La colère est une phase légitime dans toute catastrophe personnelle ou collective. Mais cette colère est le terreau pour une recherche de coupables.  Alors, comment lutter contre les Fake News. Il semblerait que même les réseaux sociaux changent de stratégie. Ainsi Facebook et Twitter qui effacent les messages du président Bolsonaro, ce n’est pas banal, mais surtout pas habituel. 

Elle lit alors l’anthropologue et éleveur de brebis James C-Scott qui s’intéresse à l’histoire profonde et qui assure dans un entretien récent à Philosophie Magazine : le contrat social est un conte de fée.. Elle qui envisage le retour à la terre l’écoute avec attention. 

… Je crois que l’expertise ne peut pas précéder l’expérience. J’ai par exemple acquis une ferme alors que j’étais nommé professeur à l’université Yale. J’ai commencé par élever un mouton, puis deux, trois et finalement une trentaine. Puis des brebis. Si j’avais choisi une méthode disciplinée, je me serais entraîné des années avant d’éventuellement me lancer. Et, en pesant consciemment les avantages et les inconvénients, j’aurais sans doute tout simplement abandonné. L’amateur, comme l’amoureux, est davantage tenté de plonger dans les nouvelles rivières… sans savoir s’il y a de l’eau ! L’indiscipline m’ouvre régulièrement de nouveaux champs intellectuels et me sauve de l’ennui. 

Le philosophe Slovène Slavoj Zizek s’amuse de ce pied de nez de l’histoire : il y a une certaine ironie dans le fait que nous aurons besoin de mesures communistes pour enrayer une maladie issue d’un pays dirigé par le parti communiste. Tout le monde n’en rit pas ! 

Alors, comment écrire cette histoire, comment on nous la raconte ?

« Rien de rassurant dans ce qu’il a dit d’exact. Rien d’exact dans ce qu’il a dit de rassurant », résumait récemment une journaliste à l’issue d’un discours de Trump. On ne saurait mieux exprimer le trouble qui s’est installé dans les discours officiels. L’épidémie de coranavirus n’est pas seulement une crise sanitaire, c’est une crise de narration. Face aux dénis des gouvernants, le coronavirus a imposé son histoire au monde.

Et puis le SMS bref d’Hélios.

Time stand Stills : le temps s’arrête. On y est.
Ecoute.
N’oublie pas que nous sommes liés !


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Crédit photo : © Fabrice GATTIER

 

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