Ne pas se laisser submerger, se dit Hélios à l’aube. Garder en tête que, si l’on reste léger, on flotte sur l’eau. L’image de la bouée le poursuit. Elle va au gré du vent, sans personne pour la diriger. Comment vas-tu, demande Hélios à la bouée ? Je ne sais pas, mais j’y vais. Voilà. Tout est dit. On y va si on arrive à maintenir la flottaison. Alors, si ça nous déprime, on peut en pleurer en écoutant le requiem de Barber. Hélios verse des larmes chaque fois. En rire ? Et si le rire était la seule solution pour en sortir ? C’est la thèse développée par les amateurs multiples de rirologie, yoga du rire et autres dérivés de l’esclaffe collective. Contagieux le rire ? Pas autant que le Covid-19. Mais moins dangereux. Hélios imagine qu’il y a un créneau d’avenir : la gélotologie, discipline scientifique qui étudie le rire et ses bienfaits sur le corps.
Alors, il se dit que plutôt que d’aligner des successions de réflexions certes lumineuses mais peu hilarantes, on pourrait en faire un spectacle drôle : du genre One man Show après-Covid-19. Ou pendant plutôt. Alors, il faut un personnage. Mais il l’a le personnage ! C’est Sisyphe ! Sisyphe au chômage partiel, libéré de son châtiment par Zeus lui-même durant le confinement : alors, il faudrait l’appeler maître : Maître Sisyphe, cela sonne bien. Aller, il s’y colle. Oui, mais il faut un acteur. Hélios lui-même. Impossible, trop timide, pas drôle du tout. Mais il sait qui peut le faire ! Un vrai comédien au chômage total lui. Il n’y a pas de demi-mesures pour les gens du spectacle.
Bon l’introduction : on y va….
Le one man show de Maître Sysiphe : Saison 1/ épisode 1
Maître Sisyphe : Bien. On m’a gentiment demandé de faire un show hilarant pendant le confinement. Qui dure le confinement. Sur la chaîne You Tube Live. Là j’introduis. D’habitude, je fais plutôt les clôtures. Ouverture ou clôture. Je ne sais plus. On ne sait pas bien quand ça a commencé. Ni quand ça finira. Vous voyez déjà le truc : une ouverture après une fermeture. Une fin au début. Le début de la fin ? Faudrait savoir : on ouvre ou on ferme ? On commence ou on finit ? Je ne vous en dis pas plus. Vous comprendrez au fur et à mesure. J’aime les défis, les paradoxes. Alors autant, que vous sachiez tout de suite qui je suis, comme ça vous serez surpris mais pas trop. Contrairement à ce qui se dit sur moi, j’aime l’impromptu. Il y a bien sûr des limites à l’impromptu, à l’inattendu. Trop d’inattendu, ça peut perturber des vies apparemment bien organisées. J’ai dit apparemment. Faut se méfier. Ça peut avoir l’air bien organisé et en fait totalement désorganisé. La preuve en ce moment L’essentiel, me direz-vous, c’est d’avoir l’air. Quoique, là encore, je serais à votre place. Je me méfierais……… D’ailleurs se méfier, voilà la tendance. Se méfier : un art de vivre. Un style. Voire une obsession. Regardez, on se méfie de tout et de tout le monde. On passe au large. Les italiens, les espagnols, nos voisins…. N’avoir confiance en rien ni personne. Alors on se méfie. On contrôle. On compte. On suit. Les malades, il faut les détecter….. On gère les stocks, on gère les flux. On compte ! Vous verrez, nous allons tous être géolocalisés ! Et il faudra justifier notre non contagiosité pour accéder…à l’air libre ! ça ne s’invente pas. Bon, au Pérou, la police a le droit de tirer sur la foule en cas de légitime défense. Ça doit leur rappeler de très mauvais souvenirs. Bon, moi aussi mon show n’est pas très bien organisé. Vous verrez, moi, c’est un peu fouillis, mélangé, décalé…ah oui moi. Appelez-moi Maître ! Je suis chasseur d’absurdités. Oui j’ai bien dit chasseur d’absurdités. Une spécialité ancienne mais très rare, un bon créneau, un secteur en croissance même. D’où mon nom : maître Sisyphe. Vous voyez Sisyphe. Un truc de ouf, je fais, je refais, je commence, je recommence. Absurde, vous dis-je ! Je monte mon rocher qui ne trouve pas mieux que de redescendre dès qu’il est en haut ! La légende dit que je l’ai bien mérité ! Et que je paie la colère des dieux. Mais bon, l’éternité, c’est long ! Balayeur de feuilles mortes à l’automne un jour de Mistral. Vous imaginez. Un truc de ouf, je vous dis. C’est fatigant à la longue. Mais en même temps, ça donne un sens à la vie. Ça donne des repères. Alors, spécialiste de l’absurde, c’est un domaine très pointu…mais d’avenir !
Ça vous donne des idées ? Je vous arrête tout de suite. C’est déposé à l’INPI, sécurisé, enregistré, breveté. Je suis le seul Maitre Sisyphe. C’est un créneau très personnel et j’attaquerais en justice toute personne qui voudra me piquer mon job ! C’est moi qui ai eu l’idée en premier. Quoique Sisyphe, c’est pas d’aujourd’hui ! Là, Zeus m’a libéré pour un temps de mon châtiment car toutes les routes sont coupées et mon rocher est bloqué. Alors, il me laisse utiliser mon temps comme je veux. L’absurde, je m’y connais. Cela étant, en terme d’absurdités, l’homme (et la femme aussi, soyons juste !) ont une inventivité incroyable. J’ai vu hier le bikini solaire qui est équipé d’une prise USB pour recharger son Smartphone. La crainte de ne plus être connecté. Pour être immédiatement informé de mails ou messages d’une importance démesurée. J’ai lu aussi (dépêche de l’AFP, c’est dire !) que dans les bureaux des grands groupes qui pensent à notre avenir (et surtout au leur), on avait une expression pour désigner le facteur humain dans l’entreprise : le mou ! Par opposition au dur, au hard, les chiffres, les données, les tableaux Excel ! Vous avez vu tous les soirs ? Le monsieur qui donne les chiffres : le compteur de la mort. Et les statistiques surtout. Tous les jours, t’as droit à un calcul de probabilités sur ta chance d’y passer en fonction de ton âge ton groupe sanguin, ton lieu d’habitation…..absurde. Non, c’est tous les jours et ça fait péter l’audimat….même s’ils coupent le son, t’as les graphiques, les tableaux, les courbes. Alors, où je suis moi ! Oh ! C’est pas bon ! Je suis donc dans l’œil du cyclope. Désolé pour cette référence mythologique ! Je ne peux pas m’en empêcher !
Hélios s’arrête là. Oui, ça peut se faire. Une autre manière de dire les choses. Cette mise en scène quotidienne de notre inquiétude individuelle et collective lui rappelle cette phase de Murakami : Tu sais, Kafka, la plupart des gens dans le monde ne veulent pas vraiment être libres. Ils croient seulement le vouloir. Pure illusion. Si on leur donnait vraiment la liberté qu’ils réclament, ils seraient bien embêtés. Souviens-toi de ça. En fait, les gens aiment leurs entraves.
Si on est perturbé par cette idée, on peut alors relire Henry David Thoreau : Le temps n’est que le ruisseau dans lequel je vais pêchant. J’y bois ; mais tout en buvant j’en vois le fond de sable et en découvre le peu de profondeur. Son faible courant passe, mais l’éternité demeure.
Alexandre Lacroix commente : C’est d’abord une invitation à regarder par transparence à travers le mince filet de notre agitation ordinaire. il aspire à un rapport confiant avec le monde. Si vous abordez votre entourage et votre milieu naturel sans hostilité, vous pourrez prendre appui sur eux. De la confiance dépend la liberté – car il n’y a pas de liberté intérieure possible, tant qu’on craint pour sa sécurité.
Le philosophe Emanuele Coccia nous calme sur ce plan. Le virus est une force anarchique de transformation ! Une vision idyllique de la nature ? L’angoisse que nous éprouvons aujourd’hui résulte en grande partie de ce que nous réalisons que le plus petit être vivant est capable de paralyser la civilisation humaine la mieux équipée d’un point de vue technique. Ce pouvoir transformateur d’un être invisible produit, je crois, une remise en cause du narcissisme de nos sociétés.
Le philosophe Slovène Slavoj Zizek nous achève : Au fond, les épidémies virales nous rappellent la contingence et l’insignifiance ultime de notre existence : aussi grandioses soient les monuments spirituels érigés par l’humanité, une contingence naturelle aussi bête qu’un virus ou un astéroïde peut tout anéantir… Sans parler de la leçon d’écologie que nous pouvons en tirer : l’humanité risque, à son insu, de précipiter sa propre fin.
D’ailleurs, l’imagination est sans limites pour le confinement se dit Helios .…la moitié de la population mondiale, vit en confinement en raison de la pandémie de Covid-19. Mais, le « restez chez vous » est à géométrie variable. En Amérique centrale, le Panama, et en Amérique du sud, le Pérou, sont les deux seuls pays au monde jusqu’à présent à alterner les autorisations des jours de sorties. Les lundi, mercredi, et vendredi, ce sont les femmes qui sont autorisées à se rendre aux supermarchés ou à la pharmacie. Les hommes prennent le relais les trois autres jours : mardi, jeudi et samedi. Et dimanche, personne ne circule.
Aujourd’hui, c’est moi qui cause. Et demain c’est Anabella ?
Et puis le texto d’Anabella. Ok. Toi c’est maître Sisyphe pour son one man show et ses séquences de l’absurde. Alors moi c’est Frida (un hommage à Frida Khalo) qui présente un numéro d’horoscope chamanique version féminin Covid (un nouveau concept !). D’accord ?
Porte toi bien !
Ressources
Livres :
- Kafka sur le rivage – Haruki Murakami
Articles :
- Le rire comme « thérapie » : nouveau remède pour une (r)évolution intérieure au quotidien ? – Kaizen
- Henry David Thoreau ou l’oeil du sage – Philosophie Magazine
- Emanuele Coccia : “Le virus est une force anarchique de métamorphose” – Philosophie Magazine
- Slavoj Žižek : “Dans l’ordre supérieur des choses, nous sommes une espèce qui ne compte pas” – Philosophie Magazine
- Un jour les femmes, un jour les hommes, le Panama et le Pérou mettent en place le confinement alterné – France TV Info
Crédit photo : Hervé Crepet Photographe