Hélios se dit en se levant qu’il va chercher des bonnes nouvelles, des raisons d’espérer, histoire de ne pas céder aux lamentations et aux colères multiples. Il y intégrera un chapitre chaque jour, un peu comme on met des fleurs au pied de la statue de Ganesh, comme on arrose ses graines, qu’on ensoleille son chapeau, qu’on dit à ceux qu’on aime qu’on les aime. Histoire de dresser la vie palpitante et colorée contre le virus de la peur. 

Il se rappelle le début de l’interview du philosophe Slovène Slavoj Zizek parlant des 5 étapes par lesquelles nous passons quand nous apprenons une catastrophe individuelle (mais que l’on peut extrapoler à la sphère collective) : le déni… la colère…. le marchandage… la dépression  et l’acceptation. On voit bien qu’il n’y a pas d’ordre et que les retours à la phase précédente sont fréquents. Ce qu’on observe, c’est qu’on peut se bloquer, rester focalisés…ce qui nous fera sortir de là, se dit Hélios, c’est justement de se nourrir de différentes manières de voir cette période, pour que notre vision ne soit pas altérée, figée. Que notre point de vue se nourrisse, s’enrichisse et bouge. Il repense à Sisyphe qui cherche à trouver des idées pour son one man Show. Sisyphe, qui a du temps libre. Il était très occupé avec son rocher rétif. Alors là, faute d’activité répétitive, il essaie de comprendre le monde des humains, lui qui a fâché les Dieux. Et il ne comprend pas vraiment ce qui se passe. Il entend tout et son contraire. Il n’y aurait pas de vérités ? Alors, il imagine un dialogue entre lui-même, dispensé pour un temps imprécis de son châtiment, avec quelqu’un de fiable c’est-à-dire dont on peut croire les propos. Il est un peu perdu dans tout ce qu’il entend. Qui faut-il croire ? Que faut-il faire ? Alors, il interroge par Skype la professeure Vérité : cela ne s’invente pas !

Sisyphe : Alors, je suis un peu perdu dans ce que j’entends. Que faut-il croire ?
Professeure Vérité : regardez, c’est très simple. Il y a 4 questions très différentes qui se posent sous nos yeux mais en accéléré : qu’est ce qui est vrai ? Là, c’est le combat avec les informations erronées, les bobards, les fake news plus ou moins malveillantes….La deuxième est un peu différente qu’est ce qui est sûr ? Justement, plusieurs points restent incertains de par la nouveauté du virus. Et cela perturbe le public qui est inquiet face à cette incertitude. La troisième est qu’est ce qui est crédible ? Quand la vérité est malmenée et que les certitudes sont à géométrie variable, c’est le crédible qui prend le pas. Ce que chacun a le plus de facilité à croire. En l’occurrence, ce qui nous arrange : complotistes, chercheurs de coupables de négligences se réjouissent du moment et ont un auditoire conquis d’avance. Bloqué à la phase colère. Mais surtout, c’est la quatrième question, qu’est-ce qu’on fait ? Cela est à décliner en comportements individuels et collectifs : avec ce que l’on sait et ce que l’on croit, comment faire face ? Et là, nous avons une mise en scène incroyable de volte-face et de stratégies oscillantes qui montrent bien que même si on s’accorde sur un certain nombre de points, les points de vue sont divergents. La stratégie de la Suède est édifiante sur ce point en refusant le confinement et en s’appuyant sur d’autres conceptions. La polémique scientifique en public n’est jamais bonne pour la crédibilité. Alors qu’elle est indispensable à toute avancée scientifique. C’est le paradoxe que nous vivons.
Sisyphe : oui, mais c’est le propre de la vie, ça, non ? On avance quand on est confrontés à la nouveauté, aux obstacles ?
Professeure Vérité : Oui mais là c’est en direct live sous nos yeux, retransmission sur la planète entière ! A vitesse accélérée. D’habitude les scientifiques ont des protocoles à respecter pour valider une décision. Là, sous la pression de l’opinion, on est tous capables de prendre de la poudre de perlimpinpin sans contrôle. Par contre, après, s’il y a un scandale, les coupables seront faciles à trouver. C’est une position intenable.
Sisyphe : C’est pas bon pour la science !
Professeure Vérité : tout dépend comment on voit les choses. La recherche scientifique va sans doute faire en quelques mois des bonds comme jamais en terme de compréhension des phénomènes épidémiques et de mutualisation de compétences pour trouver des traitements. L’histoire nous le dira. Pourtant, en temps réel, on reproche aux scientifiques leurs ignorances.
Sisyphe : En somme, plus la science sera efficace, plus elle perd en crédit dans l’immédiat.
Professeure Vérité : Oui, car on lui reproche de ne pas savoir faire face à quelque chose d’assez inédit. Comme si nous ne pouvions plus collectivement accepter que tout ne soit pas immédiatement explicable.
Sisyphe : décourageant
Professeure Vérité : il faut se mettre à l’abri du temps réel, des parasites des opinions clivantes pour tracer son chemin de travail. L’éthique est essentielle. Elle ne peut pas se négocier chaque fois que Trump publie un tweet. Aujourd’hui, ce n’est pas croire celui qui occupe la scène qui compte, c’est faire preuve d’intelligence collective et d’éthique pour se coltiner aux vrais sujets.
Sisyphe : Intelligence collective ?
Professeure Vérité : la science n’est qu’un chemin possible parmi d’autres. J’y crois car il me semble être le seul pouvant fonder des actes collectifs. Mais j’utilise le verbe croire. D’autres croient au châtiment divin et d’autres au chamanisme, d’autres à une vengeance de la nature, d’autres encore à un complot ourdi par les plus riches…la question n’est pas nouvelle…les lumières sont en question…
Sisyphe : Oui, je vois, même les dieux sont en questionnement. Zeus m’en parlait l’autre jour justement !!!!!!

Hélios s’arrête là. Sisyphe est fatigué. Et la connexion Skype avec Professeure Vérité s’est interrompue. Il trouve une confirmation et un espoir dans l’article suivant : Comment le Covid-19 a réveillé l’intelligence collective mondiale. 

Et puis il se dit qu’il y a des combats étonnants et riches de complexité et d’humanité. Il plonge dans l’univers de la lutte des indiens Yanomani. Depuis près de cinquante ans, la photographe suisse Claudia Andujar documente avec un savoir quasi anthropologique la vie des Indiens yanomami qui vivent au cœur de la forêt amazonienne. Mieux, elle pratique la photo comme une révélation, dans un sens métaphysique. Car son bain révélateur capture un pan du monde chamanique habité par les esprits. 

Le SMS d’Anabella est sobre : un poème et cette question : tu cherches la vérité ?

La lumière est trop grande pour mon enfance.
Mais qui me donnera la réponse qui n’a jamais servie ?
Un mot qui me protège du vent, une petite vérité où m’asseoir
Et à partir de laquelle me vivre,
Une phrase seulement mienne, que j’embrasse chaque nuit,
Où je me reconnaisse, où je m’existe.

Alejandra Pizarnik, extrait du poème « Origine » dans le recueil Les Aventures perdues.

Et pour la chercher, la vérité, le Path 19 de Max Richter


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