Hélios commence lui aussi à être capté par cette histoire de confins. Refaire l’histoire à l’envers à partir d’un événement imaginaire dont on détermine la date : c’est un exercice que lui avait fait faire un prof à la Fac en Master. Imaginez où vous êtes dans 5 ans et vous m’envoyez une carte postale pour me raconter comment vous en êtes arrivés là. C’est un peu ce que propose Anabella avec Frida. Alors, il écrit à Anabella pour vérifier qu’elle est d’accord pour poursuivre l’histoire avec lui. Qu’ils écriraient à deux. Un peu comme ces histoires qu’on inventait, enfants autour de la table avec les parents : le premier dit : il était une fois …et il commence l’histoire…puis son voisin poursuit et on invente une histoire à plusieurs sans s’être concertés. C’était des grands moments de plaisir. On se demandait chaque fois ce que l’autre allait inventer en cherchant comment on pourrait fabriquer quelque chose qui poursuit le mouvement et l’intrigue. C’est cela. Il faut inventer de nouveaux personnages mais dans le sens de cette histoire. Qui s’écrira en chemin. Les lunettes sont au pied et le livre est ouvert. Il suffit d’y mettre les mots. En 7 lettres : confins !
Hélios fait sa revue de presse du matin. Il poursuit sa recherche sur les causes du Covid-19. Lui qui a eu une note déplorable au bac en biologie, a fait des progrès considérables dans ce domaine en quelques jours. Sans doute parce qu’une épidémie donne immédiatement du sens aux analyses et théories. Leur utilité n’est pas discutable. Et si les écologues, que personne ne connaissait hier et dont les travaux se diffusaient entre experts, devenaient les conseillers politiques de demain ? Ainsi l’écologue Serge Morand l’affirmait ce matin : L’activité humaine « a modifié considérablement ce que l’on appelle l’équilibre dynamique, ou la résilience, des écosystèmes », explique-t-il. Urbanisation, exploitation des ressources et agriculture industrielle ont rapproché des espèces qui ne se seraient jamais croisées dans la nature, initiant « des contacts entre une faune sauvage, dont les habitats se réduisent, et une faune domestique ou d’élevage – cochons, dromadaires, poulets, chèvres, chats, chiens, etc. – Nous créons ces nouvelles interfaces, tout en mettant les animaux en situation de stress avec la déforestation, les feux de forêt, la fragmentation des habitats, etc. Des prédateurs disparaissent et tout ce qui se trouve en dessous est dérégulé », résume Serge Morand.
Dérégulé, déséquilibré, mis en tension…autant d’impacts pourtant connus et richement documentés mais qui ne faisaient la une d’aucun journal. Des transformations silencieuses qui n’apparaissent que lorsqu’il est trop tard. Comment retrouver l’équilibre alors même que l’on sait que l’on ne peut plus revenir à la dernière configuration et que c’est un peu tard ?
Hélios voit aussi, comme tout le monde, que le Covid-19 révèle toutes les injustices sociales. Elles se manifestent sous nos yeux de manière brutale et qu’on ne peut les camoufler. Alors ? Il imagine un autre entretien entre le journaliste et Alex.
Nous avons posé la question à Frida hier sur le développement des citoyens des confins. Elle nous avait parlé d’Alex qui était un des initiateurs du mouvement. Nous l’avons interrogé pour avoir sa lecture des choses, un an après.
Journaliste : De votre point de vue, qu’est ce qui a été le déclencheur ? Un tel mouvement en seulement un an…
Alex : Il n’y a pas eu un déclencheur mais plusieurs qui se sont combinés et ont produit des effets très rapides. Rien n’était prémédité. C’est un peu un effet de temps opportun, le Kaïros, l’occasion qui se présente. Les québécois ont une formule pour cela. Ils disent que les choses s’enlignent. Un peu comme quand on accorde une guitare avec un accordeur électronique, le voyant lumineux passe au vert. C’est le moment de jouer juste.
Journaliste : Plusieurs facteurs ? Lesquels de votre point de vue ?
Alex : Je vois 5 facteurs ou constats qui se sont conjugués, et qui ont de fait potentialisé le mouvement, anecdotique au début. Le premier est la mise en lumière des conséquences des injustices sociales : des inégalités tellement criantes qu’elles sont insupportables. Mais surtout l’inconséquence voire l’indifférence de certains gouvernants dont le discours tenait en ces termes : Il faut que la croissance reparte. Quand des communautés entières meurent parce qu’elles ne peuvent ni se confiner, ni se faire soigner, chacun se dit que ce n’est pas possible et qu’il faut faire quelque chose. D’habitude l’émotion retombe quand l’actualité change de focale. Mais là, cela s’est ancré, révélé et surtout a généré des actions concrètes, observables, mais surtout valorisées, essaimées, reprises comme exemples…
Journaliste : Vous voulez dire que cela existait déjà mais ne se voyait pas ?
Alex : Tout à fait. On avait l’expérience de l’accueil des migrants mais plus largement de toutes les situations d’exclusion. Sur le terrain, des trésors de solidarité et d’humanité mais qui faisaient difficilement bouger les positions des politiques publiques européennes. En somme la solidarité n’avait d’impact que sur les plus convaincus. Une sorte d’entre soi vital, indispensable mais parfois épuisant. Là, immédiatement l’impact s’est élargi.
Journaliste : le deuxième facteur
Alex : La peur. L’observation régulière des régions touchées ou non par le Covid-19 a produit dans l’imaginaire une sorte d’évidence : les zones rurales protègent même si elles excluent. On l’a vu dans la frénésie d’achats de résidences secondaires dans le Cantal ou en Haute Loire juste après la crise. La ville est apparue comme un milieu risqué. Cela ne relève pas d’une analyse objective mais bien d’une représentation qui bascule d’un coup. Et donc cela s’ancrait dans un contexte propice. Le mouvement des gilets jaunes en France avait déjà questionné les politiques globalisées et descendantes. La France dite périphérique a des ressources. Les états généraux sur la ruralité avaient aussi ouvert des voies possibles.
Journaliste : le troisième facteur ?
Alex : La troisième est la croyance dans les Low-tech : mettre à disposition des technologies utiles, durables et accessibles à tous sur toute la planète. Dès le départ dans le mouvement, il y avait de nombreux makers, acteurs des Fab Lab, notamment en milieu rural, indifférents à la propriété intellectuelle, qui pensaient que la technologie doit d’abord être au service du bien commun. Avec l’idée que l’on peut transformer des High Tech en Low-tech utiles à tous. Et pas pour dégager des dividendes. Et c’est cela le pari gagnant. On peut créer des services pour le plus grand nombre en utilisant le top des possibilités de la technologie au service du soin, du respect des personnes et des environnements, de l’éducation ouverte, de la réduction de l’impact carbone de chacun. Il faut bien comprendre que tout cela existait déjà mais que la crise l’a positionné comme une alternative féconde à grande échelle.
Journaliste : D’autres facteurs encore ?
La quatrième est une question de gouvernance. Puisque la démocratie est en crise et que les colères légitimes ouvrent possiblement la porte au populisme et aux régimes autoritaires, on peut, sans ambition démesurée construire des manières de vivre ensemble plus participatives, mais à un échelon géographique acceptable. D’où la notion de Territoire des confins. Le succès de cette notion est étonnant. On a même gardé l’appellation française sans la traduire en anglais. La ruche des projets est sans doute un exemple de construction politique de solutions low-tech où les décisions sont concertées, débattues, enrichies, mais surtout testées. On commence les projets et on les arrête s’ils ne fonctionnent pas. Ça c’était inimaginable avant pour une créateur qui devait d’abord donner toutes garanties que ça marche avant qu’on lui fasse confiance.
Journaliste : C’est quoi l’idée de cette gouvernance ?
Alex : Nous sommes dans le cadre du respect des lois de la république. La marginalité administrative est suicidaire à terme. Mais dans ce cadre, il y a des jeux de coopération possibles avec des espaces de concertation sur les sujets qui préoccupent le territoire. Ce qui est fascinant, c’est que la gouvernance est territoriale mais que chacun de ces territoires est au service de la planète. Difficile à comprendre. On n’est pas dans l’idée de faire sécession mais plutôt de faire alliance dans un cadre.
Journaliste : le cinquième :
Alex : Le dernier est plus existentiel ? C’est plutôt moi qui le formule ainsi : nous avons à concilier le durable et l’éphémère : savourer l’instant et préserver l’essentiel. De nombreux textes ont été produits sur ce sujet et ouvrent une approche philosophique féconde La conscience de sa finitude, le besoin de savourer les instants et d’être présent au monde et aux autres et en même temps le sentiment d’appartenir à quelque chose de plus grand que nous qu’il faut réserver. Entre le business à tout prix et le développement personnel purement égotique, il y a une alternative. On y est.
Hélios s’arrête. Il pense à l’interview qu’il a lu ce matin sur les déséquilibres créés par l’homme et ce virus qui nous bouleverse. Si des centaines de milliers de virus circulent à bas bruit – de façon indétectable – dans la nature, en la détruisant pour subvenir à ses besoins croissants, l’homme a multiplié les risques de transmission.
Le SMS d’Anabella est une citation :
“Ne vous amusez pas à vous plaindre, rien n’est si utile, mais fixez d’abord vos regards autour de vous : on a quelquefois dans sa main des ressources que l’on ignore. Si vous n’en découvrez aucune, au lieu de vous morfondre tristement dans cette vue, osez prendre un plus grand essor : un tour d’imagination un peu hardi nous ouvre souvent des chemins plein de lumière.”
Vauvenargues (1715-1747), “Conseils à un jeune homme”, in Réflexions et maximes
Regarder autour de soi. Voilà ce que l’on a le temps de faire !
Et regarde les archives de Neil Young : qui se bat depuis des années contre Monsanto et…Netflix !
Ressources
Articles :
- « Cette crise doit nous engager à agir » : la pandémie de coronavirus va-t-elle pousser l’espèce humaine à (enfin) respecter la biodiversité ? – France Info
- Des makers aux fablabs, la fabrique du changement – CNRS Le Journal
- Ecoutez Neil Young au coin du feu et vivez enfin le numérique sur le mode analogique – France Culture
Crédit photo : Hervé Crepet Photographe