Depuis quelques jours, Hélios développe ses connaissances en épidémiologie et en pandémie. Enfin, il a le sentiment que l’urgence et l’inconnu nous amènent à apprendre et à comprendre plus vite. Et que la vulgarisation scientifique est un nouveau terrain de jeu collectif. Et aussi un relais d’influence. Nommer ses ignorances ? On se retrouve vite entre deux extrêmes : je confie mon point de vue aux mains des experts et je ne sais pas…je ne suis pas un spécialiste de la santé et je ne sais pas comment il faut déconfiner ..disait un représentant syndical ce matin ! Moi non plus. L’autre dérive, c’est que nous devenions tous des experts de l’épidémiologie. Une interview surréaliste du Professeur Raoult par un journaliste Télé tournait à la démonstration de virologie par le journaliste agressif faisant un cours au professeur qui devait se demander ce qu’il faisait là. Je délègue aux experts …ou je m’autoproclame expert. Et bien peut-être aucun des deux. Cela n’empêche pas d’essayer de comprendre et d’avoir des intuitions qui relèvent plus du bon sens que de la science. Hélios a aussi progressé en histoire des pandémies. Du coup, c’est une autre façon de regarder notre passé et de penser le temps. La vie de idées nous en donne un aperçu vertigineux. On avait oublié. Nos terres et nos ancêtres ont connu tout cela. Nos frères humains d’autres continents aussi. C’était trop ancien, trop loin, cela ne nous concernait pas.

Difficile de parler d’autre chose que du covid-19 en ce moment. Pourtant, pendant la pandémie, le réchauffement continue. Usbek et Rika nous le rappelle : Cette semaine, le réchauffement climatique ne s’est pas rappelé à nous seulement à travers un soleil de plomb. Une étude publiée mercredi 8 avril dans la revue Nature par des chercheurs de l’University College de Londres parvient à la conclusion que plutôt qu’un déclin progressif, les écosystèmes de notre planète pourraient connaître un effondrement brutal si les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter. Au rythme de réchauffement actuel (+ 4°C par rapport au niveau préindustriel), nous dit The Guardian, les écosystèmes océaniques pourraient être les premiers à atteindre un point de rupture à l’horizon 2030, suivis des écosystèmes tropicaux vers 2050. Des résultats inquiétants, qui confirment le risque déjà évoqué ces derniers mois par plusieurs articles et études.

Réchauffement climatique. Et si ce n’était pas la chaleur mais le froid polaire ? Quand l’imprévisible est la norme, les emmerdements peuvent changer de messagers assez vite : virus, bactéries, canicules, glaciation intempestive, tsunamis, ouragans….les options sont sans fin et peuvent se cumuler. Cela rappelle à Hélios ce libre éblouissant, lyrique au titre énigmatique, Les buveurs de lumière de Jenni Fagan. Ce n’est pas la troupe Symphony dont il est question mais d’un regroupement de caravanes où on lutte contre le froid de la mort qui emmène tout. Et où le lyrisme et la poésie sont partout. Alors, Hélios imagine la poétesse interviewée par Frida. La poésie des confins.

Pour son livre, Frida a interrogé Jenni, une poétesse des confins qui a tenu un discret blog poétique totalement décalé pendant le confinement

Frida : Comment expliquez-vous le succès de votre démarche poétique pendant la pandémie ?
Jenni : Je ne l’explique pas. Et je m’en moque. Au moment du confinement, j’avais développé l’accompagnement de femmes incarcérées autour d’ateliers d’écriture créative. Et puis je travaillais aussi dans des structures accueillant des personnes ayant des troubles psychologiques. Je voyais bien à quel point ces séances étaient des ressources pour toutes ces personnes. Elles pouvaient décoller, littéralement, de leur situation d’empêchement. Et surtout elles ont créé des textes d’une beauté incroyable. Alors, quand la période du confinement est arrivée, c’était évident pour moi : la poésie était une clé : nous pouvions produire de la lumière. Nous pouvions être des buveurs de lumière et nous émerveiller malgré le côté terrifiant de la situation.
Frida : Comment avez-vous fait ?
Jenni : Dans un premier temps, j’ai donné la possibilité d’interagir avec mon blog, de produire des œuvres collectives à partir de thèmes tirés au sort…puis progressivement, j’ai pu utiliser des classes virtuelles pour animer des ateliers de poésie et de créativité…
Frida : Et alors ?
Jenni : Une fois appropriés les soucis techniques, on peut vite se laisser embarquer. On y a fait des rencontres incroyables.
Frida : Et votre place dans les territoires des confins ?
Jenni : C’est simple : je me suis trouvée à échanger avec Alex sur une production collective qu’il cherchait à fédérer. Je lui ai donné un coup de main. C’est comme cela qu’est née la compagnie des confins…et puis le reste est venu tout seul. La poésie peut réenchanter la vie et nous rendre plus humains malgré nos faiblesses. Ce n’est pas qu’une activité de solitaire torturé. Cela peut être une œuvre collective qui nous élève et nous unit.
Frida : Avec le recul, que peux dire une poétesse de ce qui s’est passé ?
Jenni : Dans ce moment-là, les poètes se confinent. Faire de la poésie sur la souffrance, on est immédiatement suspectés de récupération morbide. Les drames sont au-delà des mots. Donc on reste discrets. L’obsession de l’efficacité, de l’utilité, des plans stratégiques de déconfinement : la sémantique est tournée vers l’action. Ou dans le commentaire sur l’action. Ou sur la philosophie du moment et de l’après. Alors, la poésie, cela peut paraître réservé aux gens protégés.
Frida : Vous voulez dire ce n’est pas audible.
Jenni : Je crois que ce n’est pas cette question. La poésie est confidentielle dans la société, en tout cas dans ses formes traditionnelles. Dans ces situations, ce qui est troublant, c’est qu’on est confronté à quelque chose qui nous dépasse. A tous points de vue : invisible, imprévisible, destructeur, agile. En somme, une métaphore en acte du mal ! Et encore le terme de mal renvoie à une notion morale. Il n’y a pas de morale. Ce n’est pas un ennemi satanique pour reprendre les métaphores guerrières contre le terrorisme. Il n’y a à priori pas d’intention. Un enchainement juste terrible et rapide d’un processus de destruction. Nous y touchons notre vulnérabilité et notre impuissance.
Frida : il y a une dimension poétique dans tout cela. Métaphorique ?
Jenni : Si la science, par ses hésitations et les polémiques qu’elle suscite, rend les choses troubles et inexplicables, on ne peut pas se contenter de l’attente d’une réponse rationnelle. D’autant qu’elle sera éphémère, partielle. C’est l’inachevé qui est le sens du moment. Nous avons sans doute besoin de décoller de cette dimension purement opérationnelle. Nous avons des millénaires d’œuvres poétiques, métaphoriques qui ont aidées les femmes et les hommes à vivre ensemble. J’ai travaillé avec des personnes dans une détresse absolue pour qui ces moments de poésie partagée étaient des oasis de présence et de bienveillance. Peut-être parce que ce cela permet de se hisser au-delà de notre monde d’une rationalité destructrice. De faire œuvre collective.
Frida : Là, un an après, vous créez votre premier workshop poétique des confins, c’est quoi ?
Jenni : une suite logique. Mes ateliers de créativité confinés peuvent prendre d’autres formes. On essaie. Rien n’est écrit.
Frida : Vous avez choisi la photo d’Hervé Crepet, Distorsion, pour l’affiche de ce workshop itinérant. Pourquoi ?

Distorsion © Hervé Crepet

Des repères perdus, des intuitions accentuées, des flous colorés…

Jenni : Oui, c’est le sentiment que nous avons tous. Une déformation du monde. Des repères perdus, des intuitions accentuées, des flous colorés… comme si cette distorsion nous obligeait à sortir d’une vision fixiste et purement géométrique du monde. Pour permettre d’explorer d’autres dimensions. Des dimensions en mouvement comme une réalité distordue mais néanmoins mystérieuse et suscitant notre curiosité. Comment passer de la peur à la curiosité ? En explorant les failles et les crevasses. Et pas en remettant à plat. Surtout pas remettre à plat ! Non, c’est remettre en vie et en couleurs qu’il nous importe.

Hélios se dit qu’il faut qu’il rencontre cette Jenni. Lui qui n’a jamais oser montrer ses poèmes. Alors il va demander à Frida. Le problème. C’est que Jenni et Frida, c’est un peu dans sa tête à Hana et lui. Comment va-t-il continuer à vivre sans eux : Alex, Sisyphe, Frida, Jenni, Fabrice, Hervé, Olivier…. ?

Un peu plus tard, Hélios envoie un SMS à Hana :

Hana : Aujourd’hui, j’ai croisé Jessi, poétesse des confins. Elle a lancé un blog de poésie puis des ateliers créatifs de poésie partagée en ligne. C’est un peu ce que tu as fait avec tes Haïkus ? Et si on lançait un appel à contributions pour les poètes qui n’osent pas le dire et qui sont confinés. Histoire de se préparer à la tournée des confins. On part bientôt ! D’autant que demain, c’est le dernier jour, le jour 30.

Hana lui répond tout de suite.
OK. Demain dernier jour.
Pour la fraîcheur, la grande cascade de René Aubry.


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Crédit photo : Hervé Crepet Photographe

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