Hélios vient d’entendre à la radio les résultats d’un sondage. 70 % des Français pensent que le pire est devant nous. Donc les sondeurs continuent à travailler. Enfin un secteur qui ne connaît pas la crise ! Indispensables les sondages ! Ils permettent aux français de savoir quoi penser. Les français pensent…savent, croient…vu que l’on nous dit quotidiennement que le pire est devant nous, message étayé par force analyses, graphiques et données quantitatives incontestables ! Finalement, le message a plutôt convaincu. Le pire est donc certain ! Préparons-nous.

Mais qui sait vraiment ? Reprenons juste la parole publique depuis début janvier et comparons les prévisions. Aujourd’hui encore, sur la planète, certains trouvent qu’on en fait trop ! On ne verrait donc pas les mêmes choses. Non, c’est plus simple et plus terrible. Ce n’est pas la vérité qui compte, c’est ce qui est crédible. Hélios a le souvenir de ce Tweet de Donald Trump qui l’avait interpellé. « La preuve que j’ai raison, les américains me croient ». A travers cette formule percutante, tout est peut-être dit.

Plus récemment, lors d’une émission de la chaîne Public Sénat , Voyage ascensionnel, le physicien et philosophe des sciences Etienne Klein avait eu cette formule à propos du changement climatique : « On le sait mais on n’y croit pas ». Hélios avait compris que la parole vraie avait du plomb dans l’aile, scientifique ou pas. Dans un ouvrage saisissant, La faiblesse du vrai, la philosophe Myriam Revault d’Allonnes, analyse l’irruption de la notion de post-vérité dans le débat. « Cette notion ne concerne pas seulement les liens entre politique et vérité, elle brouille la distinction essentielle du vrai et du faux, portant atteinte à notre capacité à vivre ensemble dans un monde commun ».

Alors quand le crédible prend le pas sur le vrai, tout devient discutable. Et aussi discuté. On voit bien que les différents pays européens n’avaient pas arrêté une stratégie commune face à l’épidémie. Aujourd’hui, Courrier International écrit :  » Le gouvernement britannique n’a pour l’heure pas pris de mesures radicales et semble privilégier le développement d’une immunité collective de la population. » Et la presse proche du pouvoir de préciser : “Qui peut dire si cette approche est moins bonne que les mesures radicales ?” rajoute l’édito du Daily Telegraph. L’étrange voie Darwinienne défendue par la Grande Bretagne s’est vite trouvée contestée par les faits. Mais elle nous dit aussi que des débats scientifiques existent. Débats non clos. C’est que la vérité scientifique est elle aussi soumise aux confrontations au réel. Ce qui est vrai l’est jusqu’à preuve du contraire. Dans une interview éclairante, un épidémiologiste célèbre a eu cette formule choc. « En sciences, nous n’avons jamais de certitudes absolues ».

Si Hélios a lu tout cela, c’est que le sujet de thèse qu’il a déposé (et qu’il n’a pas commencé) est « Comment conduire sa vie par temps incertains ». Il a conscience à cet instant à la fois du côté dérisoire d’une telle entreprise (au minimum 3 ans de sa vie), des impacts de ce qui est en train de se passer dans le sujet qu’il traite mais peut être également de la nécessité de s’investir dans un travail de pensée exigeant pour sortir du simplisme ambiant. « Le simple n’existe pas, il n’y a que du simplifié » disait finement Gaston Bachelard.

Et puis les complotistes, survivalistes et autres oiseaux de malheur se réjouissent ! Ils avaient prédit. Ils avaient raison. Et à les entendre, il parait très important pour eux d’avoir raison. Les malheurs à venir les comblent dans une satisfaction morbide d’avoir su avant les autres. C’est que notre monde moderne confond des notions. Là encore, Hélios cherche la précision. Tous les mots ne sont pas synonymes.

Prédire, c’est dire avant. C’est savoir ce qui va se passer. On vous l’avait bien dit, hurlent les prophètes de désastre. Prévoir, c’est faire des hypothèses sur les plus grandes probabilités. Elles ne sont pas certaines mais l’incertitude est réduite.

Anticiper, c’est plutôt admettre que l’on ne sait ni quand, ni où, ni avec quelle intensité cela arrivera mais s’intéresser plutôt à la réduction des effets. L’exemple typique est la construction antisismique. On ne sait pas, peut-être qu’il ne se passera rien. Mais il faut se doter de moyens pour lutter quand cela arrivera. Cela peut coûter cher ? Oui. C’est le prix à payer et cela s’appelle la prévention. Des investissements qui réduisent les effets des catastrophes voire les empêchent. Là, sur le coup, on n’a pas été très bons. Où sont les masques ? Combien de lits disponibles ? Mais là ce n’est plus le moment de chercher des coupables ou de savoir qui avait raison. En fouillant dans son dossier de thèse, il retrouve le préambule à son dépôt de sujet.

« Les sciences humaines et sociales… se sont construites sur les idées de stabilité et de prévisibilité… Il leur faut apprendre à penser ce qu’est vivre avec l’incertain…. » – Marc-Henry SOULET

Vivre avec l’incertain. Il ferme le dossier. Puis il relit le texto d’Anabella. Le haïku. Traduire un haïku en slam. Même pas peur ! C’est bien la même idée de saisir ce qui advient, sous nos yeux, dans nos cœurs, les saisir à l’instant précis, juste avant qu’ils ne fuient, échappent, disparaissent. Instantané, éphémère et… permanent ?

La danse des hommes
Pour apaiser le dieu du vent
Ressemble à la tempête.

Alors, il commence ainsi :

On bouge on tourne, on circule
On s’agite, performe, accumule
Plus ça va plus vite, plus on pense qu’on vit
Plus ça change très vite, plus on croit qu’c’est la vie

C’est juste du vent, pas l’alizé
Non la bourrasque
T’as même pas d’masque
C’est juste de l’air, climatisé

Juste au moment où il lâche le clavier, son portable vibre. C’est l’heure. Anabella lui envoie un message énigmatique.

Ton histoire d’hier sur les fenêtres, cela m’a fait penser à cette phrase de François Jullien dans son livre « Une seconde vie ». Toi qui le lit dans le texte, ça t’inspire ? Surtout, que là, il faut penser à notre prochaine vie, celle d’après.

« Pour pouvoir enfin un matin, quand on tire le rideau de sa fenêtre, qu’on regarde la maison d’en face et la rue, commencer de voir se lever, du fond même de la nuit, ce que peut-être un matin – un matin « de plus » mais émergeant du monde, tout en procédant du monde, et tel qu’on ne l’avait encore jamais aperçu ».

Je t’envoie aussi une vidéo de Lera Lynn. My least favorite life…. pas la vie que tu préfères….


 

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Crédit photo : Hervé Crepet Photographe

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