Hélios se réjouit de petites choses après la journée sombre d’hier. Par exemple, il se félicite de son abonnement à la newsletter de Philosophie Magazine qu’il attend tous les jours avec une certaine impatience. « Les carnets de la drôle de guerre ». L’édito du jour est touchant. Nous avons choisi d’adapter notre métier aux circonstances est-il dit en préambule. On voit que faire ce qui nous semble intelligent sur l’instant peut s’avérer une ânerie. C’est notre lot. On fait des bourdes parfois gravissimes avec souvent de bonnes intentions. C’est qu’on ne sait qu’après. Pierre Dac a eu cette formule limpide. La prévision est difficile, surtout lorsqu’elle concerne l’avenir. Alors, on n’a pas besoin de donneurs de leçons ou de moralistes savants. On a juste besoin de partager nos doutes et notre commune humanité dans cette période inédite. Et selon des formes, elles aussi, inédites. Non, cette période ne sera pas propice à mes progrès en anglais, se dit Hélios. Non, elle ne me permettra pas de découvrir l’opéra (si c’est pour écouter le Grand Macabre, je préfère passer mon chemin et écouter Brassens, King Crimson ou Eric Clapton !). Non, je n’en profiterais pas pour faire mon plan de thèse. Non, elle ne sera pas le temps de ma découverte de la méditation…ni du développement de ma virtuosité en guitare flamenca, ou si peu.

Non, la période qui vient, qui va, qui bat, lui fait découvrir la peur, pas la panique, pas l’angoisse, non, une peur diffuse, imprécise mais profonde et permanente, que nos agitations de mots ne font pas disparaître. Ce qui nous lie, ceux à qui on tient, se trouvent durablement éloignés, plus ou moins exposés ! Alors, on y pense. Et puis aussi, on fait avec ce qu’on a. On ne commandera plus de produits inutiles par Internet. Pour l’instant. Les courses, ce n’est pas simple ! Faire son repas avec ce qu’il y a, c’est accommoder les restes. Les reliquats, leftovers, en anglais. Tiens comme hier ! Ce qui reste que l’on redécouvre et que l’on met au mixeur de notre imagination. Du coup le refuge devient notre seule enveloppe. Il relit la newsletter du jour. Si l’on nous demandait le bienfait le plus précieux de la maison, nous dirions : la maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur, la maison nous permet de rêver en paix disait Gaston Bachelard il y a fort longtemps. Rêver en paix par temps de guerre. Désarmés, confinés mais lucides et rêveurs néanmoins. Donc, prendre soin de son refuge comme il prend soin de nous en nous protégeant. En disant cela, Hélios sait que ce n’est pas possible pour tout le monde et que le confinement met au grand jour des situations d’exclusion accentuées. La distanciation sociale est non seulement une nécessité et un choix : elle est plus ou moins facilitée par la situation. Nous ne sommes pas tous égaux face au Covid 19.

Alors, il se dit que nous tirerons la leçon une fois cette guerre gagnée. Gagnée vraiment ? Il sent revenir au galop son propre scepticisme. Il est fatigué de cette pensée positive qui inonde les réseaux sociaux. Trop ! C’est comme les sucreries, si on en bouffe trop, on est vite écœurés. Les optimistes auraient plus de chances de survie que les autres ! Être anti sceptique (antiseptique, c’est d’actualité !) ce n’est pas forcément se vautrer dans une lecture béate. C’est essayer de voir les choses de différents points de vue. Et puis le scepticisme a du bon, s’il sait se tenir à sa place, s’il n’empêche pas de faire ce qu’il faut. Tiens, il faudrait qu’il relise les philosophes sceptiques. Demain, peut-être ?

Heureusement, Hélios lit juste après l’exercice de contradiction proposé par le philosophe Olivier Pourriol. Un peu d’air frais ! Quand les contradictions s’affichent, on peut en rire.

Et puis, la newsletter de Philo Magazine encore, il s’esclaffe devant la définition de la vie proposée par Georges Perec. Vivre, c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner. Quand il regarde son petit appartement, Hélios se dit que ce n’est pas faux. Et qu’investir ce lieu d’une façon différente peut être une bonne façon de faire face à l’inconnu.

Bon, on sait bien maintenant qu’à partir du 7ième jour de repli, le rapport au temps se change. La nouveauté des premiers jours du confinement s’estompe. Il nous faut entrer dans un nouveau temps. Pas celui de l’acte héroïque et brutal pour faire face, de l’agitation excitée, non celui de la lenteur, de la persévérance. Nous entrons dans un autre temps, celui de la durée. Hélios regarde à nouveau la belle photo d’Hervé qui l’a suivi tout au long de cette journée de drôle de guerre.

Jour 7 : Drôle de guerre

…la promesse du ciel bleu et l’aube d’une seconde vie.

Elle se prête à toutes les rêveries. Dans ce foisonnement, ces graines colorées qui se meuvent et s’estompent, il y a la promesse du ciel bleu et l’aube d’une seconde vie.

Alors, peut-on rire de la situation quand on compte les morts chaque soir ? Entre les optimistes indécrottables et les confinés dépressifs, il doit y avoir un entre-deux. Parler de manière mesurée et respectueuse, écouter, soutenir, remercier. Et puis on ne voit pas les choses tous les jours de la même manière…Tout à coup, Hélios a une idée. Il cherche dans ses cartons un vieux livre qui l’avait réjoui. Se réjouir, aujourd’hui, ce n’est pas banal. Voilà, il a trouvé un antidote à l’optimisme déprimant. Le livre de Dominique Noguez, « Comment rater complètement sa vie en onze leçons ». Les gens qui réussissent leur vie nous courent sur le haricot, affirme-t-il. Ceux qui ratent la leur sont parfois plus intéressant. Mais pour la rater complètement, il faut faire un effort ! Il en reste songeur.

Puis, à l’heure espérée, son portable vibre. C’est le texto du jour d’Anabella.

 » J’ai commencé à ranger le refuge et à faire la Play list. Et à faire avec ce qu’il y a : les leftovers, les reliquats, ce qui est à notre disposition. Le temps justement. Il est encore, pour un temps, à nous. Tu te rappelles Sénèque. Lettre à Lucilius 5, dernier chapitre : « Les animaux fuient à la vue du danger ; après s’être enfuis, ils ne se font plus de souci. Nous, nous sommes torturés par le passé et l’avenir…le souvenir ramène en effet le tourment de la crainte, la prévoyance l’anticipe ; nul n’est malheureux seulement à cause du présent. Porte-toi bien.

Et moi, comme je suis polythéiste, et que je te joins le miserere d’Allegri (on touche à l’infini !), je te dis : Namasté, je salue le divin en toi !

Pour la route vers la rêverie, histoire de prier ? Cela me fout des frissons ! « 


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Crédit photo : Hervé Crepet Photographe

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