Il y a des moments de vie rectilignes, organisés, séquencés, directs et presque prévisibles. Où on pourrait croire que la planification suffit pour que ce que l’on a prévu advienne. Créant chez nous l’illusion que l’on a une puissance infinie, que la réalité se réduit à une alternance peu poétique entre oui et non, entre juste et faux, entre vrai et imaginé. Et puis tout à coup, sans prévenir, sans alertes qui nous auraient permis de nous préparer, la lumière baisse, la netteté environnante, perdue de vue car routinière, s’enfuit. Le flou s’installe et l’histoire n’est plus si sûre. Plusieurs histoires deviennent possibles. Entre dystopies et contes à mourir debout, les échos se mêlent rendant les discours rassurants… inquiétants, les menaces inutiles, les plans comptables déprimants. Tout se réduirait à ce qui se compte ? Il n’y aurait que deux histoires possibles ?
Le premier confinement m’a amené, comme beaucoup, à une expérience d’écriture quotidienne, les carnets du jour d’après, qui ont facilité la mise à distance de ce vécu. Mais peut-être surtout la conscience de l’importance des histoires humaines dans ce déluge de données comptables mortifères. Nombreux ont été les rédacteurs de livrets et autres journaux ; mais cette période a été aussi le signe de l’importance de cette dimension créative dans nos vies chronométrées et normées. Comme un souffle d’air frais enfin possible.
Car dans ce moment particulier, on peut osciller entre colère et lassitude, agacement et agitation. On en comprend les raisons. Cela nous touche aussi car les injustices sont encore plus criantes. Et nous avons des lieux, des temps et des actes pour dire que nous ne sommes pas résignés. Mais on peut ne pas vouloir uniquement se rallier à la colère ambiante qui fait du ressentiment et de l’envie d’en découdre un mantra à succès. On peut aussi détester le réductionnisme ambiant à un ensemble de données comptables qui rythment notre quotidien : indicateurs, données, ratios, objectifs. Tout n’est que chiffres et je peux penser librement que tout ce qui se compte n’est pas nécessairement ce qui compte, pour moi, pour nous tous. Alors si la recherche rassurante de boucs-émissaires, si la construction de courbes probabilistes ne me font pas rêver, mais si je n’aime pas non plus cautionner la formule facile « après moi le déluge », on peut trouver d’autres voies. Je peux créer un lieu d’expression qui ne s’adresse à personne en particulier mais qui donne la possibilité de faire vivre des idées, des créations. Les miennes ; elles rythment mon temps et ont de l’importance, même si je les ai rarement partagées. Mais d’autres aussi, créateurs et artistes en tous genres, amis proches ou inconnus appréciés. Faire partager, ouvrir, sortir des environnements règlementés….Et puis peut-être, par la magie des hasards et des jeux de dés, inciter à des rencontres voire à des créations collectives. L’avenir est à construire. Même si, sur ce site et dans mon monde d’aujourd’hui, ici, le temps va à pied selon la formule du poète Joseph Delteil.
C’est qu’un site Web nous donne des possibilités nouvelles d’écriture et de création : connexion immédiate, hybridation des formes et des supports, échanges facilités….
Aussi un signe pour ce qui nous grandit, nous ouvre, nous permette d’aller au-delà de nous, soit modestement facilité. Et peut être partagé.
Bienvenue chez nous.
André Chauvet